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376 UN AUTOGRAPHE DE NAPOLÉON Ier. digne homme sembla renaître à la vie ; du reste, il prit la chose aussi doucement que j'avais pris moi-même son trésor, sans faire aucun bruit, sans se fâcher, et tout entier au plaisir de pouvoir remplir la promesse qu'il avait faite à M. le docteur C... : « Veuil- « lez lui remettre de ma part, me dit-il, la pièce annoncée~et pro- « mise, et je le préviendrai que vous en êtes le détenteur. » J'étais en trop beau chemin de repentance pour ne pas lui pro- mettre d'exécuter ce qu'il voulait ; toutefois , ce bon moment passé, ma conscience se mit à capituler de nouveau avec le de- voir qui m'était imposé après mon aveu. — Pourquoi donc don- ner à qui regorge du superflu aux dépens de qui manque du nécessaire ? L'eau ira-t-elle donc toujours à la rivière ? Ne méri- tai-je pas cette offrande par le prix énorme que j'y mets, tandis que le docteur C..., habitué à de pareils cadeaux, recevra peut- être celui-ci avec une froide indifférence? Mou admiration si vive pour le grand empereur ne me rend-elle pas digne de posséder quelques bribes de son écriture, dussé-je, pour les obtenir, user d'un peu de ruse et d'adresse, car il ne s'agissait plus que de renvoyer indéfiniment le moment de remettre à M. le docteur C... les douze lignes célèbres et de lasser sa patience a les at- tendre. Voilà donc cet aimable docteur C... qui ne m'apparaît plus que sous les traits hideux d'un créancier féroce , lui que j'avais tant de plaisir à rencontrer autrefois, qui, me prenant amicalement sous le bras, me faisait faire avec lui ses visites, tout en me di- sant mille jolies choses avec tant de naturel, d'esprit et surtout de bonhomie ! Eh bien ! maintenant je ne le voyais plus de loin sans une immense terreur ; j'utilisais, pour éviter sa rencontre, les derniers hauts bancs qui défigurent nos rues basses ,' je met- tais à profit nos plus noires allées de traverse , et, je dois le dire, mon excellente vue et mes bonnes jambes me servirent avec tant de succès que, durant plusieurs mois , je réussis à l'éviter, car j'avais poussé la barbarie jusqu'à le consigner à ma porte, et j'étais devenu invisible pour lui. Des manœuvres aussi savantes que suivies auraient dû lasser sa patience, et lui faire oublier le titre dont j'avais dû le rendre dépositaire ; mais le charmant docteur C... était mordu par le démonde Y autographie ; or, la rage qui en résulte, bien que moins mortelle que l'autre, n'est pas plus guérissable ; l'on mai- grit d'un autographe qu'on ne peut atteindre comme d'un amour malheureux, et tel qui n'a jamais lu un auteur fameux et qui se soucie fort peu de ses écrits, sèche et dépérit sous le désir ardent d'avoir son écriture. 11 faut avoir vu comme moi des malheureux atteints de cette maladie, pour se faire une juste idée du prix qu'ils attachent à quelques lignes d'une écriture détestable, et des démarches inouies qu'ils peuvent faire pour se les procurer. Une charmante demoiselle, bien connue chez nous par la belle