page suivante »
192 HISTOIRE DU BEAUJOLAIS moyen-âge, fondée sur l'individualisme; là surtout on pou- vait dire : tant vaut l'homme, tant vaut la terre. A l'intelli- gente opiniâtreté de ses sires, le Beaujolais dut d'être compté au nombre des grands fiefs de la Couronne. Il est étonnant que les chroniques aient donné le surnom de Grand au Guichard du quatorzième siècle, bien inférieure son aïeul du douzième. Ce dernier, singulièrement perspicace et rusé, semble avoir pré\u le résultat final des lointaines migrations des croisades. Lui, habile, resta dans ses domaines. Il ne prit aucune part à l'ébranlement général de 1095 ; il laissa partir ses voisins; au besoin, il les encouragea, les aidant de ses deniers. La voix de Pierre l'Ermite ne put l'arracher de son castel, Ce castel était toute sa force. Aucun centre de population agglomérée dans cette étendue indécise qu'il appelait ses états. Thizy ne consistait qu'en quelques maisons abritées sous les murs d'un prieuré de Cluny ; Villefranche n'était pas encore; la vieille Lunna des étapes romaines, notre Belleville actuel, vingt fois ravagée par le fer et le feu des invasions du Nord et du Sud, n'était qu'un monceau de ruines, Beaujeu, une mare liquide. Le château, dont j'ai raconté l'origine, contenait dans son vaste périmètre la famille, les chevaliers du sire et le Chapitre créé par ses aïeux. Sous la protection des tours crénelées, quelques chétives habitations de serfs s'éparpillaient sur les flancs raides de Pierre-Aiguë. La campagne du Beaujolais semée ça el là de châteaux et maisons-fortes, de monastères et prieurés, n'offrait qu'un panorama sauvage où du sein des bois surgissait le fronl d'une forteresse, et où, moines et soldats, armés les uns el les autres, souvent les uns contre les autres, se disputaient une ombre d'autorité. L'agriculture méprisée et impuissante, l'industrie nulle, le