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NICOLAS BEKGASSE. 99 pereur Alexandre connut-il l'existence de Bergasse? Nous avons tout lieu de croire que ce fui par Mme de Krûdner. Cette femme célèbre venait d'arriver à Paris à la suite du czar. Entourée d'une escorte de pasteurs de Genève, de frères moraves, de saints de diverses églises d'oulre-Rhin, elle par- courait l'Allemagne depuis quelques années, déclamant une sorte d'épopée mystique qui se mêlait naturellement au bruit des armes chez ce peuple rêveur et guerrier. Les Allemands mettraient la Marseillaise en strophes humanitaires, comme les Italiens l'ont mise en fioritures. D'après la nouvelle pro- phélesse, l'Europe assistait à la lutte suprême entre le bon et le mauvais génie. Dieu l'avait envoyée pour annoncer la vic- toire de l'aigle blanc, qui était le czar, sur l'aigle noir, qui était naturellement Napoléon. Merveilleux sujet de poésie, en effet, plutôt que d'histoire, que la rencontre de ces deux hommes, l'un représentant l'idéologie passionnée et mobile des races du Nord, l'autre personnifiant la plus énergique manifestation du génie méridional appliqué à la politique et à la guerre que le monde ait vue depuis César ! Du Jour de la première paix de Paris, Mme de Krûdner avait compris que l'exilé de l'île d'Elbe ne farderait pas à trouver sa re- vanche. Elle voulait être la Jeanne d'Arc d'Alexandre, une Jeanne d'Arc qui avait été ambassadrice et non bergère. Aussi ne cessait-elle de le poursuivre de ses objurgations au milieu des fêtes de ce congrès de Vienne dont on pouvait dire qu'il dansait et ne marchait pas. L'événement du 20 mars, en justifiant ses faciles prédictions, lui donna sur l'esprit du czar un empire décidé. Fée plutôt que favorite, car elle avait alors cinquante ans, elle enivrait de ses rêves l'imagination de ce maître du monde devenu son disciple, et montrait à son orgueil schismatique la perspective d'un gouvernement universel des âmes. Ce n'était pas sur les trônes seulement que l'amie d'A-