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LE MÉDECIN BIEN PORTANT. 485 tendu sur votre ventre aplati. Cet aspect vaut pour vous toutes les élégies les plus touchantes ; TOUS vous attendrissez sur vos os saillants, vous pleurez sur votre graisse évanouie, enfin vous broyez du noir, et la pensée de votre maladie s'est emparée de toutes vos facultés, comme elle a marqué son empreinte sur tous vos membres; votre pauvre corps est dévasté par le régime, timbré par la diète. Tout-à -coup un homme gras , frais, réjoui, facétieux, apparaît à vos regards ; c'est votre docteur ; le sourire est sur ses lèvres, le bonheur dans ses yeux, la santé dans sa carnation ; sa main blanche et potelée s'empare de la vôtre, mai- gre, sèche, ridée, jaunâtre, et, tandis qu'il compte les pulsations de votre cœur, n'êtes vous pas alors disposé à compter, de votre côté, les avantages qu'il a et qui vous manquent ? Son bien-être physique ne fait-il pas pour vous un douloureux contraste avec l'état misérable où vous végétez ? Vous voyez , dans sa prunelle claire et resplendissante , comme dans un miroir , la langue épaisse et chargée qu'il vous fait tirer. Il vous ordonne, sans s'é- mouvoir, des potions atroces d'amertume, qu'il n'a jamais goû- tées ; il vous met impitoyablement à une diète scrupuleuse qu'il n'a point observée lui-même ; il ne sent pas en un mot tout le poids de la réclusion et des privations qu'il vous impose ; aussi est-il peut-être moins disposé qu'un autre à ne les exiger qu'a- lors qu'elles sont d'une absolue nécessité : sans doute il ne pres- crit tout cela que pour notre bien-être futur, mais sa présence ne nous pénètre-t-elle pas mieux de notre mal présent ? Puis, peut-il donner à notre malaise toute l'importance que nous lui donnons (cela va sans dire), et qu'il mérite peut-être? pou- vons-nous amarrer longtemps sa conversation sur le terrain de notre indisposition ? Les idées riantes que lui inspirent une cir- culation de sang active et florissante, n'envahissent-t-elles point le temps de ses visites, que nous voudrions voir s'employer tout entier à parler de nos misères corporelles? Ne répugnons-nous pas à croire à la sensibilité d'une âme revêtue de si belles chairs et si richement empâtée ? Sa figure n'est-elle pas pour nous ce que l'eau était pour la soif du malheureux Tantale ? Ne sommes- nous pas égorgés moralement par ses deux mentons , ses joues