page suivante »
62 POÉSIE, AMOUR ET MALICE. faubourg de Saint-Gervais porte le nom, faubourg que le frère de cet excellent homme habita pendant longtemps. Puis, je revenais le soir à la campagne où je m'étais lié avec le fils de M. F...., poète ainsi que moi, auquel je soumettais mes vers, qui me montrait les siens et pour lequel j'avais pour cela même une grande sympathie. Son père était un homme lettré, que flattait ma confiance dans son goût, et avec lequel je pouvais parler de poésie et de littérature ; aussi l'on concevra facilement que je devais me plaire, entre le père qui sympathisait avec mes penchants et son fils qui les partageait. 11 y avait, à l'extrémité de la campagne, une esplanade de verdure, d'où la vue s'étendait au loin sur les deux magnifiques rives de la Saône, leur aspect me rappelait celui des bords du beau lac Léman. Deux noyers s'y élevaient, et durant les di- manches que je passais entiers dans cette jolie villa, j'avais pris l'habitude de gravir l'un d'eux, ayant en poche mes auteurs fa- voris ; puis assis sur une branche conformée de manière à m'offrir un siège commode, couronné de fraîcheur et de feuillage, je composais quelques vers, ou bien je lisais l'un de ces poètes classiques, qui furent traités plus tard de perruques, voire même de polissons et qui sont rentrés aujourd'hui dans leurs droits à notre admiration et dans leur titre glorieux d'illustres auteurs du siècle de Louis XIV. Racine, Boileau, Gresset étaient mes poètes de prédilection. Perché sur mon noyer, je passai là des heures enchanteresses, mais Mme F...., excellente femme d'ailleurs, me témoigna, avec beaucoup de douceur d'abord, qu'elle craignait pour moi ce poste dangereux, puis, avec moins de ménagement, qu'elle n'aimait point à m'y voir, et j'eus tout lieu de penser que le mal que je pouvais faire à son noyer en y montant lui tenait plus à cœur que celui que je pouvais me faire moi-même en dégringolant de ses branches ; je fus donc très- poliment évincé parcelle de cet oasis, ombreux inspirateur. Or, l'on ne descend point d'un trône, ne fût-il que de feuillage, sans un certain désappointement ; c'était pour moi comme le trépied de la Pythie ; je fus donc piqué de m'en voir tombé et je résolus, pour m'en venger, de combiner une malice que je croyais fort