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310                    UNE CURE HÉROÃQUE.

teaux et les fourchettes sont les produits des fabriques et
des époques les plus diverses, et semblent les représen-
tants de l'industrie des temps les plus reculés jusqu'à nos
jours; et cependant, au sein de cet extraordinaire bric-à-
brac, la cuisine se produit soignée, succulente; les vins des
meilleurs crus l'accompagnent, en sorte que si l'œil est
choqué par l'aspect des récipients, le goût est flatté par leur
contenu.
   Il semblerait que Casimir Delavigne eût surtout en vue
le Chablais quand il composa ces deux vers suivants :
      « Tout se fait en dînant dans le siècle, où nous sommes,
      « Et c'est par les dîners qu'on gouverne les hommes. »

   Depuis la partie des foires jusqu'aux marchés les plus
importants, tout se conclut a table; c'est la Bourse des
Savoyards, et si la fortune les y malmène, la bonne chère
leur y sourit.
   Je devais mettre mes lecteurs au courant des mœurs
gastronomiques de ces contrées, avant de leur narrer l'a-
necdote suivante qui remonte au siècle passé, et qui, malgré
son invraisemblance, est cependant d'une rigoureuse authen-
ticité.
   Au sommet de l'une des plus pittoresques collines de ce
beau pays , et dans un antique château empaqueté dans la
mousse et le lierre, qui en retenaient la maçonnerie crou-
lante, vivait et vivait fort bien, il y a juste cent ans , le
marquis de Gorifa, dont la fortune et la gourmandise étaient
également florissantes. Toujours en festin chez lui ou chez
ses voisins, nul n'avait aussi bien que lui les petits talents
dont les banquets sont le théâtre ; il découpait avec grâce,
assaisonnait les salades à ravir, chantait joliment au dessert,
appréciait les vins en gourmet consommé, avait mille atten-
tions délicates pour les dames assises à table auprès de lui,
leur offrant les morceaux qu'il savait flatter le mieux leur