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444 LE CHATEAU DE CARILLAN. la brume du soir, sous le reflet sombre de quelque coteau, et je me demandais comment Julien pouvait conduire ses tran- quilles amis, dont la sécurité d'ailleurs était bien propre à me rassurer. Souvent je voyais dans notre liquide chemin des obstacles imaginaires et j'ouvrais la bouche pour éveiller l'at- tention de notre guide. Mais je me taisais, confiant dans la finesse de ses sens exercés et je riais bientôt de mon illusion, en voyant la barque tracer toujours libre et légère son intel- ligent sillon. Rien ne troublait entre nous le silence de la nuit, pas même Julien qui se penchait d'instants en instants à mon oreille pour me nommer à voix basse les points du littoral devant lesquels nous passions, pour attirer d'un mol mon attention sur quelque effet curieux de lumière ou plutôt d'ombre. Tout à coup, il était environ dix heures, nous aperçûmes une maison éclairée, de laquelle s'échappait une musique harmonieuse. Les fenêtres étaient ouvertes pour laisser péné- trer l'air frais d'une belle nuit et elles lui livraienl en retour les accords de deux instruments qui, sans doute à cause de la circonstance, me semblèrent d'une suavité incomparable. Je reconnus ce chant sublime qu'on appelle la Dernière pensée de Weber. Les notes qui vibraient dans la nuit et nous arri- vaient comme enrichies de nouvelles modulations que leur prêtait le vent, me remplissaient d'une ineffable émotion. J'eusse voulu ne pas quitter le site agreste, le pied du petit château, où tous mes sens étaient enchantés par la voix puissante de l'harmonie ! Je m'étonnai bientôt de voir ce vœu exaucé, car je m'a- perçus que le bateau avait abandonné sa route et qu'il lou- voyait devant le châteeu, tantôt venant longer les terrasses qui baignaient dans le Doubs, tantôt glissant dans les joncs de la rive opposée. Je compris enfin que Julien faisait celte