page suivante »
LE MÉDECIN BIEN PORTANT. Je conçois qu'une belle chevelure convienne au charlatan qui vend de la pommade pour la faire croître ; il paraît alors une preuve vivante de l'efficacité de son secret, et porte sur le crâne son brevet de capacité. Je suis moins pénétré de la convenance d'une brillante santé pour un médecin, et, sans nier tout le mé- rite qu'il peut joindre à son teint fleuri, à son brillant embon- point , qu'il me soit permis d'émettre quelques doutes sur les désagréments qui peuvent résulter pour ses malades de son faciès de prédestiné et de son physique veuf de toute souffrance et vierge de toute privation. Pleurez avec ceux qui pleurent, disent la Charité et la religion, c'est-à -dire, ce me semble, partagez leurs peines pour en alléger le poids. Puisqu'il en est ainsi, je ne vois p ^ pourquoi je ne dirai pas, moi, souffrez avec ceux qui souffrent si vous voulez dimi- nuer leurs maux. Les tourments de l'âme demandent des remè- des aussi bien que ceux du corps, et si les consolateurs des pre- miers doivent être tristes , pourquoi ceux qui soignent les se- conds , ne devraient-ils pas être un peu malades ; car enfin, on ne sent vivement la privation d'un bien qu'alors qu'on l'a perdu soi-même, etl'Esculape à santé de fer peut-il compatir aux souf- frances qu'il ignore? doit-il leur donner tous les soins, leur pro- diguer tout son intérêt, lui qui ne les ressentit jamais ? Ceci m'apparaît déjà comme un grave inconvénient, mais il en est bien d'autres. Ecoutez ! Vous voilà malade dans votre chambre, bien chauffée ; là , les deux pieds sur les chenets, la tête baissée , livré à la coloquinte de vos réflexions, vous regardez languissamment votre large pan- talon, dans lequel flotte la maigreur de vos jambes ; votre gilet, dont l'ampleur s'accroît chaque jour, et qui repose plissé et dé-