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366 LE VEAU D'OR. Si vous le préférez, d'une voix plus légère Vous pouvez nous vanter le berger, la bergère, Décrire leurs amours, compter leurs blancs moutons Et chanter avec eux d'innocentes chansons. Ce champêtre sujet n'échauffe pas la bile, Ne fait pas d'ennemis et vous garde tranquille. — Merci, je sais par cœur l'Alpe au sommet neigeux, La forêt, la prairie et le torrent fougueux. Jadis j'aimais aussi, couché sous les vieux chênes. A laisser mon esprit s'affranchir de ses chaînes : Et je comprends très-bien le poète sans fiel, S'enivrant ici-bas des doux parfums du ciel. Mais aujourd'hui, vivant au milieu du tapage. Des vieux murs démolis et de l'agiotage, La muse n'a plus d'aile, et laisse le veau d'or Voler tout à son aise, en prenant son essor. Vous demandez pourquoi l'encre de la satire Aime à noircir ma plume ? Eh bien ! je vais le dire. IN'otre antique Lyon, fier de singer Paris, Envahit sans remords mes bois, mes prés chéris: Autrefois je trouvais, à deux pas de nos rues, L'ombrage, la verdure et de superbes vues; Quand le soleil brillait d'un printanier rayon, Je m'en allais joyeux, armé de mon crayon, Aux Brotteaux, à Saint-Clair, croquer le paysage. A mes chers souvenirs ajoutant u n e page ; Ou, sortant de ma poche un livre favori, Je cherchais pour le lire un solitaire abri. La campagne aujourd'hui, bien au loin reculée, Hélas ! ne permet plus d'y prendre ma volée. La lèpre des maisons a couvert nos Brotteaux D'un linceul ennuyeux de moellons et de chaux. Ainsi donc, malgré moi, renfermé dans la ville, Je coudoie en marchant le vulgaire imbécile ; Je rencontre à tout pas Turcaret et Jourdain.