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426 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. goût, instruit, éclairé , dominant ses émotions , cherchant l'idée juste et la couleur vraie, le voyage d'un poète, d'un conteur élégant, qui s'efforce d'ailier la grâce à la bonne foi , et qui pourrait prendre pour devise ce vers d'Horace : Qnid -verum atque decens cuvo el rogo et omnis in hoc sum. On voit déjà que M. Reynaud n'appartient pas à la classe des poètes bohèmes à qui beaucoup de misère conseille beaucoup d'audace , espèces de Figaro , porteurs' de lyre , dînant d'un paradoxe etsoupant d'un calembourg ou d'un sonnet, en atten- dant une place. A la sagesse poétique dont son'voyage en Orient est empreint d'un bout à l'autre, on comprend la ferveur d'admi- ration qui dût le saisir la première fois qu'il entendit la lecture de Lucrèce. L'anecdote est célèbre. Il part aussitôt pour Paris, muni du précieux manuscrit que l'auteur lui a confié ; à tout venant, il en récite les fragments les plus beaux ; il éveille l'intérêt de tout le monde autour de cette œuvre nouvelle, et de la coalition d'enthousiasme qu'il provoque au dehors il sort , au jour de la représentation, un des plus triomphants succès qui se soient vus au théâtre. Cette franchise dans le dévouement, ce zèle qui ne compte pas, ces élans d'une âme qui se prodigue et se passionne, ont laissé plus d'une trace charmante dans son volume ; en maint endroit, il rappelle ces brillantes amitiés qui tiennent tant de place dans les élégies d'André Chénier et nous font aimer davantage encore, s'il est possible, le malheureux ami des frères Trudaine et des frères de Pange. Qu'une secrète affinité d'esprit l'ait de suite poussé vers l'au- teur de Lucrèce et l'auteur de Gabrielle , je ne m'en étonne guère, surtout à la lecture de ses Épitres ; l'épitre, elle aussi, est à sa manière une réaction contre l'intempérance lyrique. Étouffée entre l'ode et la méditation, i! était temps qu'elle reprît, dans notre littérature , la place qu'elle mérite -, nulle forme n'est plas appropriée au génie français si constamment pratique et moraliste, et je sais d'autant plus gré à M. Heynaud d'être revenu à ce genre oublié que nulle part il n'est plus original et plus sincèrement poète que dans ses Épitres. A la rigueur , on peut