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               CHRONIQUE THÉÂTRALE.



                     M. GUEYMAKD. — M"e LUTHER.


   Ce mois- ci a été bien rempli : aux Célestins, Mlle Luther; au Grand-
Théâtre, M. Gueymard , et avec lui les grandes œuvres de la musique mo-
derne : Guillaume Tell, Pioberl-le-Diable, les Huguenots, le Prophète. Il faut
se reporter aux mémorables représentations de Nourrit et de Duprez pour
se faire une idée de l'empressement avec lequel ce jeune ténor a été ac-
cueilli, et des tempêtes de bravos qu'il a soulevées. De telles représentations
deviennent de véritables solennités musicales, et M. Gueymard doit éprou-
ver quelque fierté d'en avoir été le prétexte et l'objet. Nous l'avons tous, du
reste, fêté et applaudi comme s'il était notre compatriote ; et de fait il l'est
presque. Ne vient-il pas , lui aussi, de Vienne ou de ses environs , comme
M. Ponsard, l'auteur de Luerèce , ce chef de l'école du bon sens, comme
M. Charles Reynaud, le collaborateur de la Iîeowe des Deux-Mondes et le
nôtre, l'auteur des Contes, Epîtres et Pastorales, un volume de vers prêt à
paraître chez Lcvy, et que je prends la liberté de vous annoncer d'avance,
en passant?
   Lorsque, le premier jour, M. Gueymard s'est avancé sur la scène, on
s'attendait, moi tout le premier, à rencontrer un Bettini français, une sorte
d'Arpin lyrique, doué d'une forte musculature musicale, soulevant les ut de
poitrine, à bras tendus, devant un public idolâtre. Mais bientôt, dès ses pre-
mières mesures, à la manière dont il attaquait cette romance du premier
acte des Huguenots, si difficile, si scabreuse, qu'il arrivait parfois à Duprez
de la manquer, tout Duprez qu'il était, quel n'a pas été l'étonnemcnt de tout le
monde ? Le sentiment des nuances, l'emploi des sons mixtes, l'art de phra-
ser, une netteté incomparable de prononciation, le style enfin, et, avec cela,
une bonne tenue, une sobriété de gestes qui est un signe de bon goût, tout
révélait un chanteur et un acteur. U a dit ensuite la grande scène du troi-
sième acte avec une virilité, une énergie bien servie par d'admirables notes
cuivrées, émises sans contraction apoplectique. Le quatrième acte nous l'a
montré plein de tendresse, d'entraînement et de puissance dramatique, mé-
langeant à sa manière les effets de Nourrit et de Duprez, les appropriant à sa
nature, arrivant, en fin de compte, à émouvoir profondément son auditoire,
ce qui est !a pierre de touche du véritable artiste. A présent, qu'on le trouve
inférieur à ses illustres devanciers, à Duprez et à Nourrit, tous deux créa-
teurs dans leur genre, je suppose que M. Gueymard n'en est pas à l'ignorer.
Mais il faut se souvenir de ceci : M. Gueymard est parti de loin, et dans le
trajet parcouru depuis son village et l'école de M. Rozet, jusqu'à la position
qu'il occupe à l'Opéra, il me semble avoir prouvé qu'il possédait, indépen-
damment d'aptitudes musicales évidentes , une volonté, une ténacité labo-
rieuse que rien ne rebute. Ces natures-là durent longtemps. M. Gueymard
peut encore pousser son sillon plus avant. Il y a, dans sa manière , dans son
talent, quelque chose de consciencieux, de robuste, de vigoureux qui permet
d'augurer que sa carrière n'est pas encore finie , qu'il n'a pas dit son der-
nier mot. Sans égaler Nourrit et Duprez , il leur donne la main ; il remplit