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VICTOR »E LAPRADE. 339 Homme, sache trouver ce qu'enfant tu rêvais, Dompte les éléments et rends-les tributaires, Mets aux chaînes Protée ; emploie à tes desseins La nymphe des glaciers et l'esprit des cratères ; Multiplie, ô Titan, tes sublimes larcins. Et je remarque à ce sujet que toutes les fois qu'il arrive à M. de Laprade de s'arracher à ces langueurs, à ce som- meil enivrant, c'est comme poussé par un sentiment social, général. Le rêveur disparaît pour laisser parler le prêtre, l'hiérophante. Ge n'est plus un conseil qu'il se donne à l u i - même, c'est une exhortation qu'il adresse à tous. Il est tout aussitôt le poète du genre humain , le poète qui a charge d'ames. En résistant d'un côté aux fascinations absorbantes de la nature, et de l'autre, en modérant sa tendance à se re- jeter d'un bond dans l'absolu , dans le général, en devenant pratique, il évitera les reproches que lui a fréquemment adressé la critique , de n'être pas assez humain. Déjà les Poèmes êvangèliques attestent un progrès dans ce sens. Il y est plus souple, plus varié, plus ému, plus vivant, en un mot, que partout ailleurs. Qu'il cherche , comme dit Platon , le rhythme d'une vie tranquille et courageuse ; il a assez pleuré, assez gémi. Il avait cru entendre autrefois une voix qui lui criait : Jamais tu ne verras un champ dont tu sois maître Se couvrir à ton gré de rameaux et d'épis, Et jamais en des bois plantés par un ancêtre Tes bras ne berceront des enfants assoupis. M. de Laprade s'était trompé. Les événements ont donné un heureux démenti à cette prédiction ; ils se chargeront aussi de répondre, je l'espère, aux lugubres prophéties de la Cité des hommes. .1. TISSEUR.