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   Ainsi le génie de la vieille Allemagne se meurt pour faire
place à un génie nouveau, et, en même temps, expire tout un
monde de poésie et d'amour sur lequel le poète jette un regret
douloureux. Mais l'aspect de celle stérilité de la poésie chez nos
voisins lui inspire une éloquente réponse aux accusations de
la presse étrangère contre la littérature actuelle de la France.
Nous ne pouvons nous défendre de reproduire les grandes
idées qui terminent ce passage.
    « Si l'on voulait faire le procès aux fantômes des poètes, il
faudrait au moins que le monde et les pouvoirs actuels fussent
moins fantômes qu'eux -, or, quelle loi, quelle société, quelle
église, quelle religion, je ne dis pas quel homme, mais quelle
institution qui ne se donne aujourd'hui pour une ombre et
qu'on ne traite en ombre ! Qui a aujourd'hui la prétention de
vivre sérieusement et autrement qu'en rêve ?qui se figure, par
exemple, que nos lois sont des lois ? que nos rois sont des
rois, et ne voit pas que ce sont des fantômes qui n'ont que le
visage?
    « Ne dites donc pas que la poésie finit, dites plutôt qu'elle
seule reste vivante. Rien n'existe aujourd'hui que ce qui est
dans les cœurs, il n'est pas une tradition, pas une autorité,
pas une lettre écrite qui ne tombe en cendres si vous la tou-
chez. Dans cette instabilité du réel l'idée seule subsiste. Elle
 seule garde sa couronne éternelle sur sa tête, et il n'y a ni
peuple ni roi qui la lui puisse ôter. Nous vivons, non pas dans
la pensée de ce qui est, mais dans la pensée de ce qui doit
être et de ce qui sera demain. Ombres que nous sommes,
nous sommes nous-mêmes un poème et nous ne le voyons pas.
    « L'idéal de chaque peuple se dissipe mais un génie cos-
mopolite se met à sa place, et la poétique du monde se forme,
la mission du poète est d'être le médiateur des peuples avenir.
Sa parole n'appartient plus exclusivement à aucune ; dans
l'interrègne des pouvoirs politiques lui seul redevient souve-
rain. Il est déjà le législateur de la grande fédération europé-
 enne qui n'est pas encore. »