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                      CHARLES BAUDELAIRE                    43 I

     C'est dans une lettre adressée de Bruxelles, le 5 janvier
   1866, à son ami Asselineau, que nous trouvons la première
, confidence du mal qui devait l'emporter. Il en décrit les
  tristes symptômes. Les médecins appelaient cela l'hystérie
  et le traitaient par les antispasmodiques ; de nos jours on
  dirait la névrose : une névrose des plus cruelles.
     Bientôt la paralysie survint. Ses amis et sa mère furent
  appelés en toute hâte. Madame Aupick, veuve pour la
  seconde fois depuis quelques années, habitait un cottage
  près de Honneur. Elle accourut auprès de son fils ; on
  ramena le malade à Paris, et on l'installa dans un hôtel près
  de la gare du Nord. C'est là que M. Maxime du Camp,
  appelé par la malheureuse mère, lui fit cette visite dont il
  raconte dans ses Souvenirs les détails navrants. Le brillant
  Baudelaire d'autrefois était assis dans un grand fauteuil,
  immobile, le visage d'une pâleur terreuse, l'œil éteint, les
  paupières boursouflées, incapable de faire un mouvement
  et de prononcer une parole. L'aphasie, suite habituelle de
  l'empoisonnement par les narcotiques, avait clos pour tou-
  jours la bouche du merveilleux causeur. Et cet état devait
  durer plus d'un an, diversifié seulement par d'affreux cris
  de fureur lorsqu'on ne parvenait pas à deviner ses désirs.
     M. Asselineau se donne beaucoup de mal pour établir,
  contre l'opinion généralement répandue, que Baudelaire,
  dans ce triste état, et jusqu'à la fin, avait conservé l'inté-
  grité de son intelligence. N'ayant pu juger par nous-même
  nous ne contesterons pas. Mais l'infortuné paralytique ne
  nous en paraîtrait que plus à plaindre. Quel supplice pour
  une âme intelligente et consciente enchaînée ainsi à un
  cadavre ! Enfin, après un long martyre, le 31 août 1867,
  le dernier souffle de vie s'éteignit. C'était une délivrance.
  Baudelaire avait quarante-six ans.