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EN OIS'ANS I43 jumelles, les pantalons rouges qui défilaient là -bas, gros comme des microbes, devant l'hôtel de M. Juge. Nous les [dominions à une distance à vol d'oiseau de près de cinq kilomètres. J'attache un mouchoir au bout d'un bâton et je le fais flotter : peut-être les soldats nous virent-ils, mais le télescope de l'hôtel, sans nul souci de ses fonctions, resta inoccupé sur sa terrasse. Vrai- ment ce n'est pas la peine d'être télescope, pour ne pas regarder... Oh! du reste, nous tenions si peu de place, là -haut, sur ce grand pic, et noire gloire faisait si peu de fumée... que nous n'eûmes .pas le droit d'être vexés de l'indifférence des gens de la Grave ; nous préférâmes même la froideur de cet accueil, à la voix tonitruante de l'empha- tique canon de Chamonix. « Eh ! mes enfants, nous sommes pas d'ici, dit soudain Gaspard, et faut un moment pour rentrer. » Je regarde une dernière fois tout ce panorama prodi- gieux, je voudrais en emporter quelques lambeaux que je m'efforce de fixer dans ma mémoire : dans ces moments là les facultés sont surexcitées, les impressions sont plus vives, plus durables. Aujourd'hui pendant que j'écris, cette dernière vision repasse devant mes yeux claire 'et admirable. Ainsi que dans un diorama très net, je revois bien au-dessous de moi le grand glacier du Mont-de-Lans, tout sillonné de raies bleuâtres, puis les trois Aiguilles d'Arves, les toutes petites maisons de la Grave, le ruban de la grande route mince comme un fil, et toujours reviennent les Écrins avec leurs gardes du corps la Grande Ruine, lé Pic Bourcet,les Roches d'Alvau et Faurio, le Pelvoux,leDôme de Neige, le sombre mur de l'Ailefroide... Th. CAMUS. ÇA suivre).