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VIEUX BOUQUINISTES 197 plancher et couverts d'un pouce de poussière noire et grasse, comme celle de Lyon. Avec cela il savait tout ce qu'il avait en magasin, mais quand on lui demandait un livre, il vous répondait invariablement : — Heu ! il est bien par là dans quelque pile... Revenez dans huit jours, je le chercherai.— Si vous reveniez à la date fixée et que vous fussiez quelque peu de ses amis, le volume vous était remis exactement. Sinon, et surtout s'il soupçonnait que l'acheteur ne le paye- rait pas comptant, il avait été introuvable. Aussi, pour obtenir ce qu'il voulait, Chantelauze, qui, à un certain moment, collectionnait les éditions princeps de nos grands classiques, avait-il l'habitude de lui montrer une pièce d'or. Cette vue exerçait sur Pandel une influence fascinatrice et, s'il le possédait, le livre demandé était bientôt trouvé. Il ne s'était pas lavé le visage depuis beaucoup de lustres. Le pauvre diable, malade d'une maladie de la vessie, fermait sa boutique deux fois par jour pour se sonder et disait mélancoliquement : « Comment voulez- vous que je puisse me guérir, lorsque l'Empereur et Sainte- Beuve ne l'ont pas pu ? » Et dire que Pandel avait été brillant, une sorte de gom- meux, alors qu'il était commis-voyageur dans sa jeunesse, plein de soins, et de la propreté la plus poussée. Il me dit un jour qu'il avait 8000 francs à la caisse de retraite pour la vieillesse. A ces quelques cents francs de rente, ajoutez- le produit de quelques petites ventes de livres aux écoliers. Il vivait avec cela. On m'a dit qu'à sa mort son fonds avait été vendu en bloc 1,500 francs. Ainsi s'en vont nos vieux types lyonnais, où nous allons tous. PUISTPELU.