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VIEUX AUTOGRAPHES 463 charmantes. Un bon mot était-il lancé, aussitôt il était re- levé par celui-ci, repris par celui-là ; il faisait ainsi le tour de la table et revenait à son auteur, enrichi, embelli des im- pressions reçues, transformé par les caprices de l'esprit et de l'originalité de chacun. A une bouffonnerie succédait une autre bouffonnerie : c'était un feu roulant, un jet con- tinu que rien n'arrêtait; un feu d'artifice qui se répandait de tous côtés en gerbes éblouissantes. Personne n'était dispensé d'avoir de l'esprit, et aucun ne s'avisait de n'en point avoir. On discourait sur tous les sujets — à peu près de omni re scibili et quibuscumque aliis ; quelques-uns entre- prenaient des discussions à perte de vue sur les arts, sur les sciences, sur la littérature ; d'autres s'inspirant de de Ber- choux (1) dictaient des préceptes sur l'art de bien manger, de bien boire et de bien rire, et tous se plaisaient à les met- tre en pratique. ;La chanson était de rigueur. Chacun de- vait donner la sienne; c'était alors une véritable joute, un tournoi littéraire. —A la fin de la séance, celui qui avait mérité le prix avait, comme chez les anciens, la tête cou- ronnée de fleurs, caput impeditum myrte. Pour rendre, sans les affaiblir, ces scènes enthousiastes, délirantes, ces discours si spirituellement burlesques, im- provisées en plein air — sub jove— et sous l'influence de coupes fécondes ( 2 ) ; dire tout ce qui s'est dépensé de mots heureux, de saillies fines et délicates, de traits aigus, mais non blessants, il faudrait avoir la plume de Boileau écrivant le Lutrin, celle de Gresset, de Piron ou de Scarron simple- (ï) Consulter l'étude biographique et littéraire que uous avons con- sacrée à de Berchoux et qui sert de préface à la nouvelle édition de la Gastronomie qu'a publiée, dans sa collection des petits chefs-d'œuvre, M. Jouaust. (2) Fecimdi calices quem non fecere disertum.