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414 LE THEATRE A LYON apprend par cœur quelques rôles, elle se rend un matin chez la Clairon, comme l'esclave ancien chez l'édile ou le préteur. Celle-ci la prend par la main, lui fait faire une pirouette, la touche de sa baguette et lui dit : « Fa faire rire ou pleurer les badauds. » « Ils sont excommuniés. Ce public, qui ne peut s'en passer, les méprise. Ce sont des esclaves sans cesse sous la verge d'un autre esclave. Croyez-vous que les marques d'un avilissement aussi continu puissent rester sans effet, et que, sous le fardeau de l'ignominie, une âme soit assez ferme pour se tenir à la hauteur de Corneille (1) ? » On voit que le critique se montrait sévère a l'égard des comédiens de son temps et qu'il ne craignait pas de noir- cir le tableau, pour mieux accentuer ce qu'il voulait faire entendre. Les gens de théâtre étaient placés sous la tutelle de l'ad- ministration et dépendaient, à Paris, des gentilshommes de la cour, à Lyon, du gouverneur. Cette protection allait jusqu'aux abus les plus criants : jusqu'en 1774, il suffisait, à toute fille ou femme, de l'inscription à l'Opéra ou à la Comédie-Française, pour se dérober au pouvoir paternel ou conjugal. « La dernière des filles de chœur, de chant ou de danse, la dernière des figurantes était émancipée de droit : un père, une mère, indignés de son inconduite, ne pouvaient plus exercer sur elle l'autorité; il lui était permis de braver un mari, si elle était mariée. » Aussi, de la part de toutes ces femmes, quelle aspiration vers ces planches qui donnaient l'affranchissement ! Monter là , c'était l'effort et l'ambition de chacune. Toutes les protections étaient mises en jeu pour arriver jusqu'au cabinet d'un directeur (1) Diderot) Paradoxe sur le comédien.