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204                 PIERRE ET JEANNETTE
sifs. Il est rare qu'il n'y ait pas, dans le plus petit hameau
même, quelque méchant qui se plaise dans le malheur des
autres. Il s'en trouvait un à Beauregard.
    Thomas était un petit propriétaire hargneux et avide,
jaloux de l'amitié que je témoignais aux familles André et
Joly, jaloux surtout des affaires assez florissantes de leurs
maisons.
     Moins laborieux que les deux fermiers, perdant trop
souvent du temps et de l'argent aux foires et au cabaret,
néanmoins intelligent et adroit, sachant lire et écrire, il
était consulté quelquefois par les autres habitants pour
certaines questions de limites, d'eaux courantes et d'autres
matières à procès, qu'il aimait à susciter et à gonfler, car
il appliquait son quelque peu d'instruction aux misérables
litiges auxquels les champs peuvent donner lieu, plutôt
qu'à l'amélioration de leur culture.
    Il avait un air narquois et bonhomme à la fois, qui
imposait aux autres paysans. Sa femme n'était pas meilleure
 que lui; elle aimait, comme lui, à mordre, à semer les ini-
mitiés et les calomnies, elle se plaisait enfin, comme lui,
dans la peine des autres.
    D'ailleurs, une blessure d'amour-propre et d'intérêt pi-
quait leurs cœurs rancuneux. Ils avaient un fils, aussi mal
inspiré qu'eux; ils auraient désiré que Jeannette devînt sa
femme: nos projets détruisaient ce plan que leurs ambition
avait caressée.
    Thomas vint un jour trouver André, qui se reposait sur
le banc de son jardin; il s'assit près de lui, et, prenant un
 air grave et discret, il lui parla ainsi, à demi-voix :
    « Il faut, mon cher, que je vous dise franchement une
chose, dont je veux vous parler depuis longtemps ; je crai-
 gnais de vous faire de la peine, mais enfin on doit, entre
 voisins, se rendre service par des avis de bon ami et par de