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                   ou L'ÉCOLE DES PAYSANS                     199

au père; nous ne laisserons pas s'éloigner de nous ce jeune
homme qui nous est si cher. Nous verserons nos deux mille
francs pour lui, et tout sera dit. »
   Hélas ! le sort, qui venait de frapper le pauvre Pierre, lui
réservait des coups plus funestes. Je recevais, quelques jours
après, de mon frère, négociant à Bordeaux, une lettre qui
m'annonçait une catastrophe complète dans ses affaires ;
son honneur était perdu si l'on ne réunissait tout l'argent
nécessaire pour faire face aux demandes de ses créanciers.
Il me suppliait de venir à son secours. Vous savez combien
j'aime mon frère, le plus loyal, le meilleur des hommes, et
dont le malheur était dû à des circonstances indépendantes
de son activité et de sa surveillance.
   Je ne pouvais hésiter à lui offrir tout ce que j'avais de dis-
ponible en portefeuille et en argent. Mais alors il ne me
restait rien pour Pierre. Qu'allaient-ils devenir, lui et
Jeannette? Combien je gémissais de la pauvreté où j'étais
réduit !
   Pour comble d'infortune, des bruits de guerre se répan-
dent subitement. Le prix des hommes acquiert immédiate-
ment une hausse énorme. La vente de tous les animaux de
la ferme de Joly et de celle d'André ne suffirait pas pour
racheter le conscrit. Et puis serait-il sage d'ailleurs de rui-
ner les deux maisons pour l'empêcher de servir quelque
temps le pays? Il fallait donc qu'il devînt soldat.
   Mais quelle douleur ! quelle désolation ! Les deux fiancés
versaient des larmes amères. Cette infortune n'allait-elle
pas avoir sur l'esprit de la pauvre enfant, à peine guérie,
les plus redoutables résultats ?
   J'étais navré de tant de choses déplorables. Dans ma fa-
mille, dans celles de ces braves gens, tout était triste et
sombre.
   Pierre reçut l'ordre de rejoindre son corps. La séparation