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200                 PIERRE ET JEANNETTE
fut déchirante. Les deux jeunes gens se jurèrent de ne pas
cesser de s'aimer; ils se marieraient dans sept ans. Mais
quelle séparation reculée ! On ne pouvait sonder les pro-
fondeurs d'un tel abîme de temps.
   Au bout de dix jours, je recevais du pauvre soldat une
lettre dans laquelle en était une pour Jeannette.
   La mienne contenait ces mots :

        « Mon bon maître,

  « Je suis à Valence, avec mon corps, et j'ai commencé
« mon métier de soldat.
   « Mon Dieu ! que ce métier est misérable, si on le corn-
et pare à celui de cultivateur ou à celui de serviteur dans
« une maison comme la vôtre! C'est presque de l'oisiveté.
« Quelques exercices, quelques marches mécaniques, quel-
ce ques nettoyages d'armes et de fourniments, et c'est tout.
« Le reste de la journée, on se promène comme des fai-
« néants.
   « Mes compagnons, pour passer le temps, boivent du
« vin ou des liqueurs, s'ils ont un peu d'argent. Je suis
« bon camarade tant que je peux-; mais il m'est impossible
« de faire comme eux pour cela ; ils me tourneront en ri-
« dicule tant qu'ils voudront. Ces habitudes sont contraires
« aux principes que vous, mon bon maître, et mes parents
« vous m'avez inculqués ! Jeannette aussi m'a fait pro-
« mettre de ne pas m'y laisser entraîner. Rien au monde
« ne me fera manquer à ce que je considère comme un
« devoir.
    « Il faut bien se préparer à défendre son pays, en cas de
«   besoin; il paraît que ce que nous faisons est indispensa -
«   ble pour cela. Mais j'espère beaucoup que ce ne sera
«   pas pour attaquer les autres qu'on nous apprend de si
«   stupides choses.