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198 PIERRE ET JEANNETTE sements, les douces larmes qui se mêlent dans cette entre- x vue, vous les comprenez sans peine. La rentrée de Jeannette dans sa famille fut la fête la plus touchante et la plus délicieuse que j'aie jamais vue. Pierre fut reçu par ses parents avec d'autant plus de bonheur qu'il pouvait y remplacer, pour les travaux agricoles, son frère qui avait pris une ferme dans un village situé à quelque distance. Quand il avait un moment, il venait causer avec moi, caresser son petit Charles et lui prodiguer ses soins intelligents. Ses conversations sur son séjour à Gheel, sur la marche de la guérison de son amie, étaient pour ma femme et pour moi du plus vif intérêt. Mais ses principaux moments de loisir, on le conçoit, étaient consacrés à la maison d'André. Avec quel bonheur ces deux charmants fiancés se promenaient ensemble, leurs bras entrelacés, à l'ombre des vieux pommiers, devant la mère André, qui, assise sur le banc du jardin, les contem- plait et les bénissait ! On parla du mariage. Pierre allait avoir vingt et un ans; Jeannette en avait dix-neuf. On aurait trouvé à Paris que Pierre eût été un époux bien jeune; au village, où l'on est mûr et raisonnable beaucoup plus tôt, cet âge est le meil- leur pour entrer en ménage. Mais une grave question se présentait : c'était la cons- cription, qui allait appeler mon domestique ; un mauvais numéro pouvait l'enlever à ses projets. Nous avions prévu, ses parents et moi, ce cas redouté. Le père Joly avait un peu d'argent en réserve pour racheter son fils, pas assez cependant. Mais je m'offrais à compléter la somme, si le sort, qu'on désirait tenter, sans avoir recours aux assuran- ces, n'était pas favorable. Le tirage a lieu; un bas numéro échoit au malheureux Pierre. « Eh bien! nous ferons le sacrifice, dis-je résolument