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130 PIERRE ET JEANNETTE Le travail du jardin lui plaisait extrêmement; elle maniait la bêche, la pioche, le râteau et l'arrosoir avec une activité extraordinaire, et faisait une besogne bien plus régulière et plus utile que nous n'osions l'espérer. Tout marchait donc à souhait dans ce commencement de traitement. Au bout de huit jours, nous nous préparâ- mes au départ. On conçoit la douleur d'André et de Pierre à la pensée de s'éloigner pour longtemps d'un être si ten- drement aimé et dans une telle situation. Pierre me dit, les larmes aux yeux : « Me permettriez- vous, Monsieur, de rester ici? de renoncer à votre service pour quelque temps, afin de la surveiller ? Je tâcherai de m'occuper de manière à gagner ma nourriture et mon lo- gement; avec deux bras vigoureux et de la bonne volonté, je me tirerai d'affaire. Mais vous, mon excellent maître, vous passerez-vous de moi ? Madame et mon petit Charles n'au- ront-ils pas à souffrir de mon absence? Et cependant je voudrais bien veiller sur elle. Mon Dieu ! si nous la quittons tous, comment saurons-nous la marche de son traitement ? comment subviendrons-nous aux besoins nouveaux qu'elle pourrait avoir ! « Si vous ne me trouvez pas ingrat d'abandonner votre maison, souffrez que je demeure dans ce pays, et que je protège celle qui m'est plus chère que la vie. » Je reconnus la justesse de la demande de Pierre ; j'approuvai sa résolution ; le père André, qui aurait bien voulu rester aussi, mais que le soin de sa ferme rappe- lait impérieusement, serra affectueusement la main du jeune homme. Il s'agissait de trouver une place à notre exilé volontaire; ce ne fut pas difficile. Dans l'hôtel même où nous habi- tions, il rencontra tout de suite un emploi pour le jardi- nage, et il fit entendre qu'il ne serait pas inutile à la