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ou L'ÉCOLE DES PAYSANS 55 prendre notre fils Pierre avec vous, Monsieur ; il est soi- gneux, il est honnête, il aime beaucoup les enfants, il vous aime beaucoup vous-même; il vous servira aussi bien qu'une femme. » — « Mais, mon ami, lui dis-je, songez donc à ce que vous m'offrez ; que va dire la maîtresse de maison si je lui amène un jeune homme pour tous les soins qu'exige un petit enfant ? Et que dira-t-on autour de nous de ce choix bizarre? on se moquera de nous. » — « Si vous craignez qu'on ne se moque de vous, à la bonne heure, répliqua Joly ; mais, avec le caractère que je vous connais. Monsieur, je croyais que vous ne vous in- quiétiez guère de la moquerie des gens peu raisonnables ; et d'ailleurs, puisque vous avez à Paris un petit jardin, Pierre sera censé votre jardinier ; l'honneur de son titre sera sauvé, et il vous servira à deux fins. » Ces raisons me convainquirent. 11 fut donc décidé que j'emmènerais mon jeune paysan, âgé alors de dix-neuf ans. Mais je n'étais pas sans crainte sur la réception qu'on me ferait à Paris, à la vue de la singulière bonne d'enfant que j'avais choisie. Les adieux au village furent touchants. Pierre embrassa avec larmes son père, sa mère, son frère, qui était son aîné ; je remarquai que, chez le fermier voisin, André, il fit des adieux particulièrement tendres à une jeune fille d'en- viron dix-sept ans, qui pleurait amèrement envoyant s'é- loigner mon nouveau serviteur. Jeannette (c'était le nom de cette enfant) avait la meil- leure figure du monde, l'air le plus doux et le plus honnête. Je voyais bien qu'il y avait plus que de la simple amitié entre elle et mon jeune homme, et, quoique je feignisse de ne pas entendre les paroles qu'on échangeait à travers les lar- mes, je pus surprendre ces mots : « nous nous reverrons,