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56                  PIERRE ET JEANNETTE

tu penseras à moi, je ne t'oublierai jamais, nous nous serons
fidèles, nous nous marierons. »
    J'étais donc sûr qu'il y avait là un attachement très-vif,
et je n'en étais pas fâché : je pensais que Pierre n'en con-
serverait que plus de sagesse dans la grande ville, si dan-
gereuse, où je le conduisais.
    Nous partons donc. C'était le temps des diligences : il
n'y avait encore que d'insignifiants tronçons de chemins de
fer; nous mîmes trois jours et deux nuits pour faire le
trajet; cela parut long et pénible à mon pauvre villageois,
qui n'était jamais allé à plus de quatre lieues de son hameau.
     A son arrivée à Paris, sa figure fatiguée et blême, sur-
montée d'un haut bonnet de coton, lui donnait un air gro-
 tesque, qui fit le plus mauvais effet lors de notre entrée
 dans ma maison; ma femme se récria à la vue du bon d'en-
fant que je lui amenais. J'eus de la peine à lui persuader
 qu'on pourrait tirer parti d'un caractère docile et dévoué,
 qui se plierait à toutes les exigences, se [façonnerait à tous
 les services de la maison et du jardin.
     Cependant mon brave garçon se mit à l'œuvre; il prit
 dans ses bras vigoureux notre fils, âgé alors d'un an ; il le
 promena, il l'amusa, lui chanta quelques chansons villa-
 geoises, et l'endormit en le berçant doucement, avec une
 patience et un soin qui firent revenir promptement la mère
 de famille de ses préventions.
     Pendant le sommeil de l'enfant, Pierre s'occupait du pe-
 tit jardin qui tenait à la maison de faubourg où je résidais;
 et il ne s'acquittait pas mal du tout de la culture des fleurs,
 des arbres et des légumes, très-différente cependant de la
grosse agriculture qui avait été jusqu'alors son unique
science.
    L'enfant s'attacha vivement à son nouveau compagnon ;
il se fortifia sous son aile protectrice et affectionnée. Peu Ã