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LES DEUX PLATS D'ÉPINARDS. 419 face de moi, me regarda en souriant et me dit avec un accent ému et pénétré: — Me reconnaissez-vous, Monsieur? — En vain je cherche dans mes souvenirs, Madame, vos traits me sont inconnus. — Quoi, vous ne vous rappelez plus la petite Marie P...? cette enfant abandonnée dont vous voulûtes être le pro- tecteur, et qui vient aujourd'hui vous remercier, trop tard sans doute, de ce que vous ayez fait jadis pour elle?... Ici, la sensible jeune femme , trop émue pour continuer, s'arrêta, mais ses larmes, plus éloquentes encore que ses pa- roles, les remplacèrent. Son époux el moi-même, touchés en la voyant aussi attendrie, nous nous joignîmes à elle, et des pleurs coulèrent de nos yeux, car tout sentiment vrai de l'âme est communicatif. Enfin, se reprenant et s'adressant à son époux : — Oui, mon ami, lui dit-elle, voilà le digne vieillard dont je t'ai si souvent parlé; remercie-le, comme moi, d'avoirpris pitié de deux orphelines sur le sort desquelles sa générosité a eu une heureuse influence; sans lui je ne serais pas ta femme, et qui sait où l'abandon et l'indigence de mes premières an- nées m'auraient conduite. Je lui demandai alors de me faire le récit de son existence passée depuis qu'elle avait quitté ma commune... Et ici, mon jeune ami, s'interrompit M. Verbois, vous pouvez inventer vous-même ce dont je ne me souviens que d'une manière confuse. Elle avait passé, la pauvre enfant, par une série d'événements, et son intelligente activité l'avait conduite à la place de surveillante principale dans une grande manufacture de soieries à Lyon. C'est là qu'elle avait connu son époux, voyageur de la maison, qu'ils s'étaient aimés, unis, puis éta- blis eux-mêmes dans celte grande cilé,où ils avaient un com- merce florissant.