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810 CHÂRABARA. leurs voisins, tout aussi méritants, y rampent a pas de tortue. Pourquoi ? C'est, dirait J. Noriac, une affaire entre le Minis- tre et la Destinée. Le capitaine Gauthier possédait une dose convenable de philosophie. 11 reçut son congé sans sourciller ; sella le cheval Wagram, sa propriété, et tous les deux, l'un portant l'autre, prirent la route de Lyon, berceau de Charles Gauthier, Il comptait retrouver là des parents, des amis négli- gés, il faut l'avouer, depuis longtemps. Mais le vent des révolutions avait soufflé; mais un quart de siècle s'était écoulé, et le capitaine se vil aussi isolé, aussi étranger dans sa ville natale que dans ses étapes à travers l'Europe. Il résolut néanmoins d'y planter sa tente. Un revenu de 800 fr., ajouté à sa demi-solde, lui permettait de vivre et de conserver Wagram , en observant toutefois la plus stricte économie. Les privations lui étaient familières. Il loua, pour un prix modique, une petite remise à deux compartiments, vers la pointe de Perrache. Le sol en était simplement pavé. Un râtelier et des crampons, fixés aux murs crépis à la chaux de la plus grande pièce , en firent une écurie. Wagram fut installé avant son maître. Quatre chaises, une table en bois blanc, une commode en noyer, un poêle de fonte , et un petit lit de fer Iransformè- rent l'autre enpièce chambre à coucher. Le capitaine, qui aimait la propreté, colla lui-même sur les lambris un rutilant papier à un franc le rouleau , assez rare alors, représentant, assure-t-on, les batailles de la République et de l'Empire. De fait, on y voyait des soldats rouges, des soldats blancs et des soldats verts culbutés par des soldats bleus sur un sol jaune planté d'arbres violets et sillonné de coursiers lilas. On y voyait Murât, tout empanaché, avec ses gants à la Crispin et son sabre en faucille, chargeant à la tête de la cavalerie. Par un procédé digne de Timanthe peignant un voile sur la face d'Agamemnon pour donner une grande idée de la douleur