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                           CHRONIQUE LOCALE.                            171
    La littérature reflète l'âme et la civilisation d'un p:uple. J'ouvre un
 vieux livre et je vois un chant qui passionnait les Grecs :
    « C'est Dclos, ô Phœbus, que tu chéris le plus ; Délos, où s.î réunis-
 sent les Ioniens à la robe flottante, avec leurs enfants et leurs pudiques
 épouses, où ils t'honorent par des jeux et se disputent les prix du pugilat,
 de la danse et du chant. Celui qui arriverait au milieu de leur assemblée
 les prendrait pour des immortels qui ne connaissent point la vieillesse,
 tant ils sont beaux, tant il aurait déplaisir à contempler ces guerriers,
 ces femmes richement parées, leurs vaisseaux rapides, leurs nombreuses
 richesses, et surtout, ce qu'il y a de plus beau, ce dont on parlera tou-
jours, les jeunes filles de Délos, prêtresses du dieu qui lance au loin ses
traits ; elles charment l'assemblée en chantant les héros cl les femmes
d'autrefois. Elles savent aussi imiter le langage et les danses de tous les
peuples. Chacun croirait s'entendre parler lui-même, tant leur douce voix
se prête à cette imitation. Soyez-nous propice, Apollon ! et vous, adieu,
ô jeunes filles, souvenez-vous de moi dans l'avenir ; et quand un étranger
vous demandera : ô Vierges, quel est des poètes celui que vous aimez le
mieux et dont les chants vous paraissent les plus doux ? répondez-lui avec
bonté : « c'est un homme aveugle, de Chio, ses chants tiendront le pre-
mier rang dans la postérité. »
   Le pauvre aveugle de Chio a ici un désavantage immense ; nous ne ci-
tons point ses vers, mais une faible traduction. Voyons maintenant le
chant sacré des Français, celui qui passionne et enivre la nation, celui
qu'on répète dans les villes et dans les champs. Ce n'est plus un vieillard
déguenillé , un mendiant, qui fait entendre sa voix tremblante, c'est une
ravissante jeune fille dans tout l'éclat de son innocence et de sa beauté :

               Entrez dans mon établiss'ment,
               Vous n' trouv'rcz pas dans tout' la foire,
               Un phénomène plus surprenant,
               Que c'te barbe qui fait ma gloire.
               Vous pouvez toucher, n' craignez rien,
               Ça n' vous restra pas dans la main,
               Touchez, voyez qu' c'est pas des frimes,
               Et ça n' vous coût' que dix centimes.
               Entrez, bonn's d'enfants et soldats ;
               Tachez moyen d' fair' ployer e' bras,
               On f'rait plutôt ployer un arbe,
               C'est moi que je suis la femm' à barbe !

   Combien le vieil Homère recevait-il pour son chant? combien Thérésa
reçoit-elle pour le sien? à qui le plus d'enthousiasme et d'ardents applau-
dissements? à quel peuple la palme de la poésie, du sentiment et de la
moralité? Que pense l'Europe de nos poètes favoris ?