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142 HOMÈRE. plus; par contre, certaines répétitions sont tellement étran- ges, certains hors-d'œuvre sont si mal amenés, qu'ils n'ont pu évidemment faire partie du plan primitif. Des sutures qui sautent aux yeux les rattachent maladroitement au tissu du récit. Les anciens, eux-mêmes, ont signalé plusieurs interpolations dont l'origine était connue; par exemple un vers sur Athènes dans le dénombrement des vaisseaux, le passage de l'Odyssée où Ulysse voit aux enfers l'ombre d'Hercule, tandis que le héros lui-.même « est dans l'Olympe, assis au banquet des dieux, et possédant, pour épouse la belle Hébé. » Il faut que les fanatiques d'Homère en prennent leur parti; ce sont là désormais des points acquis à la science. Mais de cet aveu au système des ultra- wolfiens il y a bien loin. Une comparaison empruntée à une époque très-rappro- chée de nous fera mieux comprendre notre pensée. Après la mort de Shakespeare, nous voyons les tragédies de ce grand poète subir des remaniements dont la trace serait cer- tainement effacée si l'imprimerie n'eût alors multiplié-les exemplaires des livres, tandis que de nombreuses biblio- thèques en assuraient la conservation. L'acteur Garrick a refait toute la fin de Bornéo et Juliette. Qui le sait aujour- d'hui, en dehors d'un petit nombre d'érudits? Lorsque Juliette se réveille entre les bras de son époux, et que celui- ci, ivre d'un bonheur si inespéré, oublie le poison qu'il vient de boire, la foule bat des mains aux paroles enflam- mées par lesquelles s'exhale leur tendresse; elle acclame le génie de Shakespeare; et cependant Shakespeare ma jamais eu l'idée de ce dénouement si pathétique. C'est là un grand exemple des erreurs de la gloire. Mais pourtant est- ce tout à fait une-erreur? Garrick aurait-il imaginé ceite correction si heureuse, si Shakespeare n'eût pas exhumé de l'oubli, ces figures charmantes et mis leur histoire sur le