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      LA FAILLITE DE JEAN-BART [rue Impériale, 49).
    En présence de ce qui se passe, on serait vraiment tenté de réhabiliter
les préjugés du moyen âge et ceux de la Suisse contemporaine qui refuse
les droits de citoyens à quelques uns de ses habitants. En effet, le charla-
tanisme le plus éhonté, la réclame la plus immorale semblent être le lot de
certaines maisons de commerce , dont les chefs n'appartiennent à aucune
des communions chrétiennes.
     On en est venu à préconiser hautement ce qui naguère était une honte,
comme un excellent moyen de faire des affaires. On distribue d'innombra-
bles prospectus,et l'on tapissela boiserie extérieure des magasins d'immenses
affiches annonçant la faillite et l'ouverture, le jour du dimanche des ra-
meaux, de la maison, qui a trouvé dans son malheur un bonheur inespéré.
Le public imbécile n'a pas l'air d'éprouver le moindre étonnement, et il est
peut-être satisfait, dans l'espérance d'acquérir de la marchandise à des
prix de bon marché extraordinaire. Cependant il sera certainement trompé,
volé, et se repentira d'avoir acheté des,rebuts de magasin. Si l'on convo-
quait simplement le chaland avec la grosse caisse ordinaire, si l'on affirmait
que la marchandise sera vendue à meilleur marché que partout ailleurs, et
que partout tailleur autre que le Prince Eugène; si l'on faisait ridiculement
intervenir le malheureux Déranger , on se contenterait de lever les épaules
et tout serait dit ; mais dans une ville de commerce , brillant encore d'une
certaine auréole de probité , faire un appel à la banqueroute , c'est un peu
violent ! Les vieux Lyonnais, les ganaches, qui n'admirent pas tout ce qui
est nouveau, ont gémi , depuis longtemps, en voyant que le commerce ne
se faisait plus comme autrefois , et qu'il n'était pas possible d'inscrire sur
le palais du Commerce — que tout le monde appelle le palais de la
 Bourse, — l'ancienne devise inscrite à l'entrée delà loge du Change. Il est
très-rationnel que, chez ces gens à idées étroites, la réclame, au moyen
 de la faillite, soit une cause de chagrin et d'indignation.
     Ces paroles nous sont inspirées par la glorification de la faillite, qui a
 lieu dans un magasin d'habillements confectionnés, à l'enseigne de Jean-
 Bar t, rue Impériale, 49. L'auteur du présent article avait déjà signalé des
 faits semblables, et, depuis quelques années , ces immorales réclames , ap-
 puyées sur la mauvaise foi, ne scandalisaient plus les gens de bien. Voici
 quelques unes des lignes qu'on lisait dans la Gazette de Lyon, du 22 octo-
 bre 1858, et qui sont aujourd'hui parfaitement de circonstance : « Pauvre
  « ville ! si l'on eut prédit à ses négociants, renommés par leur stricte pro-
  « bité, que l'on verrait un jour des marchands se glorifier faussement d'être
  « en faillite, personne n'eût ajouté foi à cet oracle de mauvais augure ; et
  « cependant la prédiction s'est vérifiée ! mais nous ne resterons pas en si
  « beau chemin. Quand l'effet de la faillite simple sera usé, alors on s'adres-
  « sera à la faillite frauduleuse, qui peut donner sa marchandise à bien
  « meilleur marché , puisqu'elle l'a plus ou moins volée. Enfin, de progrès
  « en progrès, on se proclamera tout à fait voleur , et en livrant sou article
  « à 80 % au-dessous du cours, on aura encore 20 °/0 de bénéfice. Peut-
  « être que nous ne tarderons pas à voir cet immense progrès réalisé , car
  « nous allons vite. Mais au milieu de cette ordure morale, nous aurons des
  « rues droites, larges et propres, des équipages somptueux et des comptoirs
  (t dorés. »
     Au nom de nos compatriotes honnêtes,nous demandons pardon à l'ombre
  de Jean-Barl, le héros populaire , le modèle de courage et d'honneur, de
  servir d'enseigne à une immoralité flagrante, et si dans quelque groupe da
  spirites on évoque son âme, nous prions le médium chargé de l'emploi, de
  lui exprimer les regrets de tous les braves gens , encore plus nombreux
  qu'on ne croit.                                     Paul SAINT-OLIVE.