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Sihlingtapjrh. LA MALICE DES CHOSES , par M. Arthur de GRAVILLON ; PAR MONTS ET PAR VAUX, par M. de LA COTTIÈRE. Mahomet, quoi qu'en disent ses détracteurs, était un grand philosophe , et dans maint endroit de l'Alcoran éclate une pro- fonde connaissance du cœur humain. Je n'en veux d'autre preuve que l'organisation de son paradis. A tout législateur il eût été fa cile de deviner qu'un ciel rempli de bocages toujours verts , de fontaines sans cesse jaillissantes , de houris d'une éternelle jeu- nesse, devait plaire à ces peuples en proie aux ardeurs du soleil et de la sensualité. Mais comment satisfaire les femmes qui n'y ont point entrée, puisque les compagnes des élus doivent être d'origine céleste ? Voilà où plus d'un eût échoué ; Mahomet s'en tire par un trait de génie qui ressemble fort au dénoument d'un conte ou d'un vieux fabliau ; il place les fidèles musulmanes en dehors du paradis, et leur félicité consiste à regarder à travers les fentes ce. qui se passe h l'intérieur. Moins que tout autre notre siècle doit s'étonner de la singula- rité de cette invention, et nous n'ignorons pas le bonheur de la curiosité satisfaite. Jamais l'esprit de recherche n'acquit un si grand développement, et la manie de l'analyse sera le cachet distinctifde notre époque. Nous avons tout regardé, tout vu, tout embrassé, et, malgré tant d'efforts, nous avons encore beaucoup à apprendre. Voici deux esprits curieux qui ont regardé comme les élues musulmanes à travers les fentes du monde, et viennent nous dire le résultat de leurs investigations. M. Arthur de Gra- villon a tenté l'étude la plus périlleuse et la plus difficile, il a voulu descendre en lui-même et se rendre compte de la Malice des choses. Et le voilà monté sur le coursier de l'humour et de la fantaisie, se livrant tout entier au vol inégal et capricieux de la folle du logis qui, dans sa marche aventureuse, fait bien quelques faux pas, mais arrive sans trop d'encombrés au terme de la course. Je lui demanderais seulement de ralentir son allure pour prendre avec plus de netteté l'image des objets qu'il trouve sur sa route. M. de La Cottière s'en va par monts et par vaux , cherchant l'imprévu et la gaité, et bien souvent il les rencontre. Son livre nous met aux bords des lacs de Suisse, ou sur les rives du Rhin, pays qui tous nous sont familiers, et où nous croyons être encore en le lisant. Pourquoi lui reprocherions-nous de ne nous rien dire de bien nouveau sur un sujet épuisé par tant de plumes sa- vantes? Nous ne le chicanerons pas davantage sur quelques unes de ses assertions , et nous ne croyons pas la sûreté de l'Etat compromise, quand bien môme on ne déciderait pas en dernier ressort si les ours de Berne tirent leur origine d'une légende, comme le veut M. de La Cottière, ou simplement d'un fait na- turel, comme le disent les historiens de la Suisse. Nous espérons bientôt voir de nouvelles productions de ces jeunes et féconds écrivains, productions qui , nous n'en doutons pas, marqueront de nouveaux progrès dans l'art si difficile et pourtant si nécessaire du style, et dont les plus grands génies eux-mêmes ne dédaignent point de faire leur étude continuelle et assidue. Adrien DESPREZ.