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NICOLAS BERGASSE. 109 homme qui sentait l'honneur en Castillan. En outre, il fut sous tous les régimes ce qu'on appelle un modéré. Accusé et flatté tour a tour par tous les partis, il a pu dire avec un lé- gitime orgueil qu'il ne s'était absolument voué à aucun, et qu'il n'avait jamais marché que dans le sentier de ses opinions personnelles. L'ambition n'en aurait pu faire un courtisan , le dépit n'en fit jamais un opposant. Or, en ce siècle de re- nouvellement violent des habitudes et des idées, le pouvoir, nous le savons, n'a jamais été le pris de la modération. Pour l'escalader, il a fallu d'abord y faire brèche, et nous avons vu les plus conservateurs de ceux qui l'ont tour à tour pos- sédé user leurs forces à jeter bas l'échelle de la Révolution qui venait de les porter au faîle. Quant à ceux qui n'ont rien voulu devoir qu'à leurs propres efforts et à leurs propres idées, l'impuissance et l'isolement ont été leur partage. Où sont arrivés, je vous le demande, les modérés de la Cons- tituante, de la Législative, de la Convention môme qui eut aussi les siens ? Que sont devenus tous ces hommes par qui la Révolution fut inaugurée, et par qui elle aurait pu être si heureusement gouvernée et honorée ? Vivants, l'échafaud ou l'exil les a dévorés; morts, l'oubli croît comme la ronce sur leurs tombes ignorées. Que leur a-t-il manqué cependant à eux qui eurent à déployer tant de talent, tant d'a-propos, tant de courage? Il leur a manqué une seule chose, Mes- sieurs, le succès ! Oui, sans doute, ils n'ont pas réussi, ils n'ont pas su maî- triser le flot, ils n'ont pu sauver ni le pays ni eux-mêmes ; mais ils n'ont rien renié, rien souillé, rien trahi. Ils sont res- tés hors du pouvoir, mais ils sont tombés entiers dans leur honneur comme dans une forte armure d'acier poli qui ne garde rien des souillures du combat; mais ils ont été jusqu'au bout les hommes de 89, c'est-à -dire tour à tour les soldats de l'ordre et les apôtres de la liberté !