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56 LE CHATEAU DE CARILLAN. pagne que procurait la terrasse de Carillan ; je lui racontais notre excursion nocturne, et, autant que je la comprenais moi- même, la marche de l'esquif de Julien, dans celte nuit à jamais mémorable ; avec elle j'admirais les grands ombrages et les vieux bâtiments; avec elle je faisais mille projets sur leur division, sur leur emploi, projets charmants, d'autant plus enivrants qu'ils étaient comme recouverts d'un voile, que, tout en me faisant entendre de Marguerite, je n'avais pas encore le droit de lui parler à cœur ouvert, et que, pour me reprocher de n'avoir point encore demandé sa main, elle feignait de se regarder comme tout à fait étrangère à ce que je disposais, m'engageant avec une exquise finesse d'esprit à me mettre en règle auprès de son père. Elle donnait ses instructions aussi bien que moi ; elle dis- posait tout à son gré ; mais bien qu'elle exprimât dés désirs dont on ferait des ordres, elle feignait de l'ignorer ; elle disait à tout moment, en affectant un petit ton mélancolique : — Si vous permettez à l'amie de votre sœur de vous donner un conseil... — Si j'étais autre chose que la fille de votre notaire, je ferais ceci et cela. — Que tu es heureuse, Rose, lu vas habiter ici! Pour moi, si j'y devais jamais demeurer, je voudrais que.... et je préférerais cela ! Puis elle me regardait ; elle souriait malicieusement et ses yeux étaient humides d'une larme de bonheur. Nous revînmes à Carillan peu de jours après. Marguerite fut plus heureuse peut-être, mais moins folâtre. Nous ne pouvions plus recommencer cette charmante comédie, car nous étions chez mon père, et nous venions d'être fiancés. — Enfin, elle fut installée comme maîtresse de maison à Caril- lan et je renonce à te peindre des jours heureux que tu aurais vus par toi-même, si tu n'étais pas retenu si loin de nous. Il me reste à te dire le dénoûment de la seconde histoire que j'ai entrepris de te conter.