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42                 LE CHATEAU DE CARILLAN.

ne le puis faire et rendu plus attachant par l'accent cordial
et profondément affectueux de M. Pivalle.
    La singularité des circonstances, ce lieu étrange, cette heure
mystérieuse, tout se joignait à l'intérêt déjà si puissant du
récit pour me faire réfléchir et rêver. M. Léon Gérard parta-
geait sans doute, au gré de son caractère, les impressions que
j'éprouvais. Il s'était tenu , pendant tout le temps du récit de
M. Pivalle, à demi couché près de lui. Les yeux fixés sur le
narrateur, le coude posé sur le gazon, il s'occupait à jouer
négligemment avec de petites branches sèches, qu'il cassait
entre ses doigts etfinissaitpar jeter au feu. J'étais à peu près
dans la même position, de l'autre côté de M. Pivalle. J'avais
pourtant la tête tournée hors du cercle que nous formions
autour de notre petit bûcher et quand mes regards quittaient
M. Pivalle ils se promenaient naturellement, non pas sur le
feu, mais sur les ombres fantastiques qu'il jetait aux arbres
dont la clairière était entourée. Quand il dévorait en pétillant
quelque aliment nouveau, notre salon champêtre s'illuminait
et cette lueur passagère était reflétée par les feuilles argentées
des trembles que retournait le vent, soufflant toujours au-
dessus de nos têtes. Alors, nos ombres s'allongeaient et sem-
blaient des géants dressés devant un rempart de verdure. Je
crois que je me rappellerai toujours cette curieuse veillée.
    Nous fûmes tirés de notre silence par le bruit d'un frois-
sement de branches. Julien reparut au milieu de nous, por-
 tant quelques effets qu'il était allé chercher dans la barque;
 il n'avait assurément pas écouté son ami, car il paraissait
calme. Il me serra la main avec force et s'assit à mes côtés.
    — Nous voilà à peu près tous édifiés sur nos amours, dit-
il avec un sourire contraint. Toi, Edouard, n'as- lu rien à
nous raconter? Aucune femme n'occupe-l-elle ton cœur?
    — Non vraiment, répondis-je assez franchement, je sais à
peine ce que c'est qu'aimer.