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482               DEUX POÈTES PROVENÇAUX.
contraire, leurs œuvres sur la table des plus humbles de-
meures de Provence. C'est qu'aussi, il faut bien le dire, il
y a aussi loin du paysan Berrichon ou bas-Normand à
l'araire et au pâtre de Provence, que des gras pâturages
d'un pays, aux rocs ou aux plaines caillouteuses de l'autre ;
ou bien encore de la lourde bourrée, sautée par ces campa-
gnardes hautes en couleur, à massive carrure, dont les forts
sabots ébranlent le sol, à la vive Farandole, dansée par les
sveltes filles, au visage doré, d'Arles ou de St-Rémy.
   Quiconque a visité à fond la Provence, a vu dans la Ca-
margue les gardians passant leur existence sur les reins
blancs de leur cavale, armés de leurs tridents, au milieu des
troupeaux de taureaux noirs paissant dans les lagunes
salées comme dans les Pampas de l'Amérique; quiconque
a vu ces Ferrades d'Arles ou de Fontvieille, où les jeunes
filles, montées sur des chevaux de Camargue, piquent et
poursuivent les taureaux; où de robustes jouteurs saisis-
sant ceux-ci par les cornes, et appuyant leur solide épaule
contre celle de l'animal, lerenversent et roulent avec lui dans
la poussière comme deux 'lutteurs dans l'arène antique ;
quiconque a vu encore ces pêcheurs riverains des mers la-
tines, balancés leur vie durant sur le dos des vagues, a pu
saisir les différences profondes qui séparent ces populations
des nôtres, et comprendre qu'il y a là les éléments d'une
poésie jeune et vivante. Peu de personnes savent qu'en
France et à nos portes existent une race, des mœurs, des
traditions qu'on va curieusement chercher dans les climats
les plus lointains. En dépit des invasions barbares, de
l'introduction des formes féodales, de tout un monde en con-
tradiction avec le génie antique, là s'est conservée la
vieille âme phocéenne, la même aptitude plastique, et le
 sang grec lui-même n'a pas disparu dans les infusions
 successives de sang étranger qu'ont apporté les catastro-
phes du moyen-âge.
  Les légendaires des premiers siècles racontent que lors-
que le christianisme commença à s'étendre sur la terre