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470 DEUX POÈTES PROVENÇAUX. tral ; il a, comme lui, des archaïsmes charmants, des ellipses hardies, des brusqueries, une sobriété qui dénotent un dilettante accompli de la langue. Nous ne résistons pas au plaisir de donner la preuve de ce que nous avançons. Voici une pièce, la Vieille Vigne, qui est à notre avis un petit chef-d'œuvre. Elle est tirée de la partie des livres intitulés, à juste titre, les Soleillades. Nous ne faisons pas ici des exercices de littérature; nous n'avons pas à apprécier l'étude de chaque tournure, à appe- ler l'attention sur l'exactitude et l'appropriation de chaque mot : nos lecteurs en jugeront assez pour eux-mêmes. LA VIEILLE VIGNE. J'ai une vigne à Château-Neuf, — dans un vallon des Combes-Masques, — sur le revers d'un précipice : elle comble ma cuve, elle emplit mes flacons. Le vin qu'elle jette est parfumé — comme un bouquet de thym : • — c'est un baume pour l'estomac, — c'est un flot d'or qui coule au soleil. Ma vigne est vieille, elle a deux cents ans : — au son gaillard des cha- lumeaux, — et en dansant, dit-on, les sorcières — en bonne lune l'ont plantée. A l'insolation de blonds rochers, — dans un sol caillouteux encombré de pierraille, — elle a pour ceinture de hautes herbes, — des yeuses, des rhues et des chênes à Kermès. Elle a de longs bras entortillés — comme des ventres de dragons ; — et son feuillage, lors des vendanges, — ressemble à des flammes de cinabre. Comme à l'abri des tertres, — on voit errer la salamandre, — dans les pierrées du coteau — ainsi ma vigne se promène. Mais lorsque arrive le temps frais, — vite, vite elle épand ses brancha- ges -, — ses sarments verts deviennent touffus — comme une cépée de lambrusques. Et de ses vrilles où s'enlacent les rossignols, — elle se cramponne et s'enchevêtre, — mieux encore que sur les tas de cailloux — une touffe de clématite. Elle est belle, alors, à faire joie, — comme les jeunes filles de la Nerthe, — lorsqu'elles forment leurs branles folâtres, — pieds nus et le front ceint de myrthe.