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                     POÉSIE, AMOUR ET MALICE.                       59

  Mais ce scrupule ne me vint point alors; car, le moyen de croire
susceptible de regretter cette dépense, une femme que je voyais
remplir avec noblesse les rôles de reines, de princesses, de
grandes dames en un mot, toutes personnes incapables, selon
moi, de regarder à quelques sols pour lire des vers composés
pour elles.
  Ah ! je donnerais volontiers aujourd'hui cent fois la valeur
du port de ces missives pour les avoir en ma possession et
pouvoir les relire ! car je n'en faisais aucune copie ; je les écri-
vais d'un jet, et jamais je ne compris mieux la vérité de ce
quatrain si connu :
                Pour bien écrire à ce qu'on aime,
                A-t-on besoin de son esprit?
                La plume va, court d'elle-même
                Quand c'est l'Amour qui la conduit.


     Ne pouvant, comme un ancien preux rompre des lances pour
 ma belle, combien de plumes j'usai pour elle ! n'allant point
jusqu'à verser mon sang dans les tournois pour lui plaire, que
 d'encre je répandis sur le papier pour l'attendrir ! Et qu'on ne
 s'imagine point que ces missives continssent rien qui pût blesser
 la plus sévère pudeur ; mon amour était chaste, respectueux
aussi bien que tendre, de plus, il était encore un écoulement
délicieux trouvé pour mes poésies ; mais, un chagrin cependant
 se mêlait au charme que j'éprouvais à les composer; j'ignorais
 l'effet que leur lecture produisait sur celle à qui je les adressais;
 peut-être n'étais-je à ses yeux qu'un amoureux transi, vulgaire,
 ridicule ! ce doute cruel me poursuivait sans cesse ; je voulus
 l'éclaircir à tout prix et voilà ce que j'imaginai pour cela. On
jouait tous les soirs sur le Grand-Théâtre; un matin que j ' a -
dressai comme à l'ordinaire une épttre brûlante à MUe Lemesle,
je la terminai en la conjurant de me faire connaître ce qu'elle
pensait de moi en m'adressant ie soir même ce qui, dans la
 pièce ou le rôle qu'elle jouerait, pouvait faire allusion à ma
 posilion vis-à-vis d'elle ; n'ayant po.nt encore lu l'affiche,
j'ignorais complètement de quoi se composerait le spectacle;