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vous essayez de juger sans parti pris la tragédie d'Alfieri, je crois que Vous
ne tarderez pas à vous convaincre que, sous le rapport moral, elle ne
méritait pas toutes les récriminations dont elle a été l'objet. Ce n'est
certes pas d'elle que J.-J. Rousseau aurait pu dire qu'elle dispose l'âme à
des sentiments trop tendres qu'on satisfait ensuite aux dépens de la vertu.
   Autant Racine, Adèle à cette règle d'Aristote qu'au théâtre un person-
nage pour intéresser ne doit être ni tout à fait coupable, ni tout à fait
innocent, a pris soin d'adoucir ce qu'il y avait de dur, d'implacable, de
païen, dans le caractère de la Phèdre antique, afin de la rendre plus facile-
ment acceptable par le public de son temps, autant Alfieri a été brutal,
entier, sans ménagements dans sa conception. La Phèdre de Racine, tout
en s'accusant de sa passion, n'en fouille pas moins avec une secrète com-
plaisance les replis de son cœur où elle la retrou ve partout ; elle s'entretient
longuement de ses ardeurs avec sa nourrice OEnone ; enfin, dans une scène
qui est un chef-d'œuvre par la gradation des nuances qui y sont expri
mées, elle ose faire à Hippolyte, lui-même, l'aveu de sa passion. Rien de
pareil dans la Myrrha d'Alfieri, point d'aveu, pas même à la nourrice
Euryclée ; du moment où cet aveu lui échappe par un cri que le poète a
emprunté d'Ovide :
                          O, dixit, felicem conjuge matrem !

  Myrrha se tue. Jusques là, elle n'a fait, à proprement parler, que de-
mander la mort à tout le monde :
          Una parola sola: morte!       morte!
  La mort ! la mort ! elle la demande à son fiancé, à sa mère, à son père :
Morir e morir null'altro io bramo; ce cri, en effet, retentit comme un glas
funèbre tout le long de la pièce, à travers les accès de rage et les gémisse-
ments de Myrrha.
                                         E pianto, e rabia
                   E pianto ancora.
  Qu'une telle situation soit excessive, affreuse, horrible dans sa monotonie,
qu'elle ne suffise pas à défrayer cinq actes, qu'elle oppresse le spectateur,
qu'elle soit impossible, étant prolongée à ce point, je veux bien en convenir
mais on m'accordera aussi qu'une telle peinture n'a rien qui flatte les
passions et qu'elle ne ménage aucune délicatesse.
   Lepoète aurait pu arranger aisément les choses, de celte façon que Myrrha
se fût d'abord éprise de son père sans le connaître ; mais il a, ce me semble,
vulgairement dédaigné d'être habile, afin de se soustraire au reproche d'avoi i
voulu faire une Phèdre intéressante, ne fût-ce qu'un moment. Remarquez
aussi que dans la pièce d'Alfieri la nourrice Euryclée n'est pas une sorte