page suivante »
M. RKNARD. -137 Car dans certains passages notre Kenard peut rivaliser, je ne di- rai pas seulement avec tous ses contemporains, mais avec tous nos souvenirs. Au quatrième acte de la Juive, il est une pensée tou- chante dont l'écho reste dans tous les cœurs : Dieu m'éclaire, fille chère. Eh bien ! cette phrase (si belle qu'il n'est, on l'a remarqué, au pouvoir d'aucune médiocrité de la souiller) offre à notre artiste l'occasion d'un de ces effets que le génie illumine de son rayon sacré. Doux et contenu au début, décidé déjà , mais mal affermi peut-être dans sou héroïque abnégation, Eléazar s'excite peu à peu au délire sublime qui fait les Brutus. Par degrés, le chant se met au niveau de l'inspiration que lui-même il soutient. Et quand le sacrifice est juré, alors la voix déborde du cœur plus encore que des lèvres ; et l'élan inimitable de ce mouvement fi- nal consomme l'un de ces rares instants où tous les mobiles à qui Dieu a donné prise sur le cœur humain, s'unissent d'un ac- cord irrésistible pour le plonger dans l'extase. Deux fois Renard a rencontré la même hauteur d'expression .- deux fois la salle électrisée, et l'orchestre lui-même arraché à son rôle passif, s'est associée à l'émotion entraînante du chanteur inspiré. Quant à moi, j'ai vu dans cette scène Nourrit passionner les plus froids connaisseurs par la combinaison savante de ses intentions dra- matiques ; j'ai entendu Duprez y prodiguant de prédilection tou- tes les richesses d'une voix et d'une science encore intactes. Mais, je le déclare franchement, —pour ces huit dernières me- sures — si Renard n'est pas leur égal, c'est qu'il leur est supé- rieur. Pour retrouver l'équivalent des impressions que je lui dois dans cette soirée, il me faudrait remonter plus loin et plus haut, jusqu'à Rubini lui-même, sanglottant dans la Sonnanbula, ce grand cri de l'âme blessée à mort : il piu tristo dei mortali ! « Vous direz tout ce que vous voudrez, murmurait l'autre soir, près de la rue Clermont, l'un de nos plus fins aristarques de la presse locale, j'accorde à votre M. Renard de fort beaux moyens, j'avouerai même qu'il a une bonne méthode. Mais il n'est pas encore assez acteur : évidemment il manque d'habitude de la scène, et souvent même j'aurais à lui reprocher quelques gestes empruntés » 0 triples el prédestinés Béotiens! Vous faut-il