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                      THÉÂTRE DES CÉLESTINS.

        REPRÉSENTATIONS DE M. LAFERRIÈRE.


    Au théâtre, comme au palais, cette maxime : le mort saisit le vifesl
 vraie. Aussitôt l'année théâtrale expirée, une nouvelle année commence ;
 après la clôture, la réouverture, sans interrègne, sans interruption. Cette
 réouverture a donné lieu, cette année, à des débuts intéressants sur lesquels
 nous aurons sans doute plus d'une occasion de revenir. Pour aujourd'hui,
 nous nous bornerons à annoncer, à titre de renseignements préliminaires,
 que la troupe actuelle est plus complète que la précédente, plus riche sur
 tout en éléments féminins ; l'empressement du public à venir applaudir
 les nouvelles recrues dramatiques témoigne de la vérité de nos assertions.
    C'est sous les auspices de M. Laferrière que les Célestins ont repris le
 cours de leurs représentations, et, sous ce rapport, ils ont joué de bonheur,
 car, M. Laferrière est un artiste qui aborde avec succès les genres les plus
 divers : le drame, voire le mélodrame, le vaudeville en un acte et la comédie
 en cinq actes même en vers-, il peut ainsi jouer les mardi, jeudi et samedi
pour les stalles et le parquet, et les lundi, mercredi et vendredi pour le
 parterre et les secondes, en sorte qu'avec lui le théâtre ne désemplit pas
 de toute la semaine. Il a inauguré ses triomphes par la Conscience ,
 un très-long drame de M. Alexandre Dumas père, qui n'a pourtant pas
 obtenu toute la faveur qu'il méritait. Cet insuccès a tenu à la monotonie
 de la pièce qui ne roule que sur deux situations. Pourtant cette pièce a
 cela de fort louable qu'elle est très-morale. Il s'agit d'un joueur forcené qui,
après s'être déshonoré et avoir fait le désespoir et le malheur de sa famille
se réhabilite à force de travail et de bonne conduite. Toute la pièce gît dans
 ces deux contrastes, dans ces deux antithèses. C'en était assez, sans doute,
pour cet honnête public allemand qui eut les primeurs de la Conscience
du poète Iffland, mais ce n'est pas assez pour notre mobile parterre de
France qui veut être amusé plutôt que sermoné, et qui cherche au théâtre
la distraction et non une leçon.
    Quoi qu'il en soit, M. Laferrière s'est merveilleusement tiré du rôle
d'Edouard ; il en a fait une création pleine de vie. Cet artiste excelle à
colorer un rôle, à le composer, à ranimer, à le marquer d'une empreinte
ineffaçable. Doué d'avantages physiques en rapport avec la nature de ses
rôles, il apporte une prédilection évidente pour tout ce qui concerne les
détails. En observant, par exemple, l'autre soir, au 1 er acte de l'Honneur
et l'Argent, avec quel art il écoutait son confrère Dorsay, et de quelle ma-
nière savamment étudiée il s'y prenait pour déguster son café ,agi ter sa cuillier
dans la tasse, humer à petites doses la décoction aromatique et sucrée, en le
voyant rhylhmer, pour ainsi-dire, cette action qui semble insignifiante, une
réflexion se présentait involontairement à notre esprit : c'est que, si dans les
habitudes de la vie domestique tout le monde apportait cette préoccupation
des attitudes élégantes et des gestes corrects, notre monde moderne, si an
tipathique aux artistes, n'en serait pas plus laid. Dans ce moment-là.
M. Laferrière a absous, à nos yeux, l'habit noir et la cravate blanche des
analhèmes des coloristes et des réalistes. On pourrait rêver avec lui la possi-
bilité d'introduire la ligne scupturale dans les vulgarités delà vie moderne.
Ce sens plastique est très-saillant chez M. Laferrière ; il le suit partout, jus-
qu'au milieu des emportements du drame. A la fin du 3 e acte, au moment
où il se laisse tomber sur le plancher de la scène, un peintre nous faisait