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288 LE GRAND CARTUI.AIRE et détournés de leur destination pieuse, les dignitaires n'ont plus souci de l'exercice de leurs charges, l'aumônier s'applique à lui-même l'argent qu'il doit distribuer aux pauvres, l'infirmier ne fournit plus ni remèdes ni soins aux malades, le devoir de l'hospitalité envers les voyageurs nécessiteux s'est transformé en banquets offerts à des amis ; les simples moines suivent l'exemple de leurs chefs, ils se sont attribués des pen- sions, ils ont des chevaux et des domestiques; de la vie religieuse ils n'ont pas même conservé l'habit; ils dépouillent la robe monacale, sortent de leur cloître, courent la ville en habits séculiers, hantent les tavernes et les cabarets. Ceux qui ont été placés à la campagne dans des prieurés pour y entretenir le culte, abandonnent leurs églises et viennent manger joyeusement dans la grande ville l'argent des fonda- tions pieuses dont ils sont chargés. Et encore, si les désordres se bor- naient à cette vie licencieuse, mais de chute en chute, de dépravation en dépravation, nos moines sont venus jusqu'à commettre des crimes. On en a vu sortir la nuit de l'abbaye, furtivement comme des brigands de leur caverne, assaillir traîtreusement un homme qui s'était attiré leur haine, et deux d'entre eux ont eu la cruauté de lui crever les yeux ! (C. 21, 27 et 80). Voilà où en étaient venus les moines d'Ainay au milieu du xm e siècle, au moment où leur monastère, arrivé à l'apogée de la prospérité et de la richesse, était comblé des faveurs des Souverains Pontifes. Cepen- dant, l'autorité ecclésiastique, informée de ces excès, avait pris des mesures énergiques ; le Pape commit un cardinal chargé de réprimer le mal. Ce ne fut pas sans peine que ce prélat, malgré l'appui que lui prêta l'archevêque de Lyon, parvint à accomplir sa mission. Il réussit malgré la résistance qui lui fut opposée ; les plus coupables furent chassés, les autres renvoyés dans leur prieuré, ou étroitement renfermés dans le cloître. Ainay revint à l'exercice strict de la règle, mais non pas à ses premières années de ferveur. Les écarts monstrueux ne se renouvelèrent pas, mais, toujours par la même cause, l'action dissol- vante des richesses, le monastère glissa insensiblement sur la pente de la décadence où il se trouvait complètement embourbé à l'époque de la Renaissance. Cette fois c'étaient les abbés, dont la puissance s'était accrue, qui furent les agents du désordre. Tout le pouvoir et toutes les richesses s'étaient réunis en leurs mains ; leur abbaye, tombée en commende, ne fut pour eux qu'une riche sinécure dont ils dépensaient