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446 PIERRE ET JEANNETTE je pus, sans la déranger, prendre sa main, elle était brû- lante, et le pouls me paraissait saccadé et mauvais. Le médecin ne tarda pas à arriver ; il attacha son cheval à un arbre voisin de la maisonnette, et entra avec précau- tion. C'était un homme d'une quarantaine d'années, d'une haute taille, aux traits réguliers et distingués, à l'aspect bien- veillant et doux. Nous nous saluâmes avec déférence. Il vit que j'étais l'ami de ces braves gens; le prenant à part, je lui dis qui j'étais, et lui expliquai en peu de mots l'intérêt que je leur portais et les phases extraordinaires qui avaient dû amener l'état de la jeune malade. « Je comprends, me dit-il, qu'il y a là quelque commo- tion nerveuse, quelque vive blessure de cœur. D'après vos explications, je vais diriger mes efforts d'une manière plus sûre. Cette pauvre petite est mal assurément, mais nous la sauverons; vous nous aiderez, Monsieur, et il faut que vous nous consacriez encore un jour ou deux ; j'ai besoin de vo- tre concours. » Il examina attentivement Jeannette, prescrivit des médi- caments qu'il apportait lui-même, suivant l'usage des mé- decins de campagne, usage excellent, qui épargne aux paysans le voyage, souvent long et coûteux, à une ville éloignée. « Monsieur Richemont, à demain, dit-il avec un sourire affectueux; tâchez, d'ici là , que la malade vous voie et vous reconnaisse. Logez-vous comme vous pourrez. » Je serrai cordialement la main du bon docteur, chez qui j'avais apprécié immédiatement un homme d'une haute valeur; non un médecin ordinaire de village, mais un vrai philosophe, un savant profond, qu'un mélange de philan- thropie et de misanthropie avait dû fixer dans ces cantons sauvages.