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22 LE THÉÂTRE A LYON La représentation donnée à l'Hôtel-dc-Ville attira toute l'aristocratie lyonnaise. Mme de Fleurieux remplissait le rôle de Galathée ; celui de Pygmalion était tenu par Le Texier, employé dans je ne sais quelle administration de la ville, mais si habile lecteur, que Voltaire lui-même, enchanté de son talent, écrivait à un de ses amis : « Entendez-le, il me ferait écouter l'Evangile! ( i ) » On compléta la soirée souper qui suivait la représentation, après avoir fait semblant de se débarbouiller. Il mettait dans sa vie l'illusion de la comédie, le men- songe de la scène, les plaisirs des coulisses, l'ivresse que fait monter au cœur et dans la tête l'ivresse d'un public. Que lui faisait un travail de six semaines, une toilette de six heures, un jeûne de vingt-quatre? N'était-elle pas payée de tout ennui, de toute privation, de toute fati- gue, lorsqu'elle entendait à sa sortie de scène: « Ah ! mon cœur, comme un ange ! Comment peut-on jouer comme cela ? C'est étonnant 1 Ne me faites donc pas pleurer comme ça Savez-vous que je n'en puis plus ? » « Et quelle plus jolie invention pour satisfaire tous les goûts de la femme, toutes ses vanités, mettre en lumière toutes ses grâces, en activité toutes ses coquetteries ! Pour quelques-unes, le théâtre était une vocation : il y avait, en effet, des génies de nature, de grandes comédiennes et d'admirables chanteuses dans ces actrices de société. « Plus de dix de nos femmes du grand monde, dit le prince de Ligne, jouent et chantent mieux que ce que j'ai vu de mieux sur tous les théâtres. » Pour beaucoup, le théâtre était un passe-temps ; pour un certain nombre, il était une occasion ; pour toutes, il était une fièvre, une fièvre et un enchantement qui n'était rompu qu'à ces mots: « Ces dames sont servies. » On courait souper ; car on avait à peine déjeûné pour être plus sûre de son organe. En passant, une glace faisait voir aune ou deux femmes que leurs épingles étaient tombées; on pensait aux fautes qu'on se ressouvenait d'avoir commises, on se disait: J'aurais dû dire ceci autrement. Puis on se rappelait que deux personnes, passant pour être bien ensemble, s'étaient parlé sur le troi- sième banc. On n'était plus comédienne, on redevenait femme, et la comédie finissait par une jalousie de talent, d'amant ou de figure » (La femme au dix-huitième siècle, par MM. Edmond et Jules de Concourt, i vol. in-18, Charpentier, p. 131 à 137). (1) Le Texier, né à Paris, avait un emploi dans une administration où la dissipation de sa jeunesse lui fit disposer de quelques fonds qui