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NECROLOGIE. 349 BENOIT PERRIN. On se rappelle peut-être encore aujourd'hui avec quelle généreuse bien- veillance M. Antoine Costc, le célèbre bibliophile, incitait sa riche biblio- thèque lyonnaise à la disposition des crudits et des amateurs. A l'époque où j'étais chaigé de celte précieuse collection, un jeune homme vint timidement nie demander un volume. Je saisis le marchepied et le traînant non sans peine d'une pièce à une autre, je parvins à descendre d'un rayon élevé le volume demande. Le jeune homme se confondit en remercîments : — Que de peine, Monsieur, et que je suis honteux ! — Mais, comment donc ? c'est mon devoir. — C'est que je ne sais comment vous l'avouer... j'aurais besoin de prendre des notes. — Voiei une chaise, du papier, des plumes ; inslallez-vous. — Merci, Monsieur; quel bon accueil; j'en suis confus; d'autant plus que je. ne suis qu'un simple ouvrier en soie Et je vis une goutte de sueur qui perlait sur son Iront. Je fus touché de si modestie et de sa timidité, et redoublant mes frais de politesse, je crus comprendre bien vite au doux regard qu'il m'adressa que je venais de me faire un ami. Il prit ses notes et s'enhardit jusqu'à me dire qu'il taisait des vers, qu'il charmait ia monotonie de son état de tisseur en écrivant et il me lut quel- ques pièces que je trouvai nai>. es, gracieuses, charmantes et je lui donnai mes plds sincères encouragements. Par une pudeur que je compris, il ne communiquait pas ses poésies aux journaux de Lyon ; il les adressait à l'Etoile de Falaise qui les accueillait avec faveur; il e5t encore des provinces lointaines où un poète est pris tout à fait au sérieux. Il revint plusieurs fois, il revint souvent, puis un beau jour il m'ap- porta un petit volume intitule : Temps perdu, essai poétique d'un Canut, par Perrin fils aîné, tisseur à Lyon; Falaise, Jullien, 1853, in-12. J'ai conservé précieusement ce volume qui porte un hommage autographe de l'auteur. Ces poésies douces et mélancoliques sont le reflot d'une vie obscure, placide, aimante. Benoit Perrin n'a point d'histoire à raconter; aucun événement n'a (rouble la tranquillité de ses jours. Né le 17 mars 1820. au milieu de ce quartier Saint-Paul qu'il n'a jamais quitté, il y a grandi en ouvrier; vivant de la soierie, habitué à ce monde à pari, il est devenu canut comme ses pères et a vieilli au milieu de ceux qu'il aimait, je dis plus, dont il était tendrement aimé. Célèbre-t-on la fête d'un ami? Perrin arrive avec un couplet. Une jeune fille se fait-elle religieuse? il écrit au père désolé : Un ange va quitter ton foyer tutélairc, De nos sentiers fangeux où tonte âme succombe, Elle fuit l'air impur cl va, blanche colombe, Dans la paix du couvent goûter des jours meilleurs. Est-il obligé de quitter sa maison ? il lui adresse ces touchants adieux : Ici je vins enfant ; j'y suis devenu père ; C'est ici que j'ai vu deux sœurs avec un frère Jeunes encor mourir pour s'envoler aux cieux. Amour, joie, amitié, larmes, peine, souffrance, Ont ici tour K tour lissé mon existence Et chaque coin m'en parle en mots mystérieux.