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72 UN MARIAGE SOUS LES TROPIQUES. lève du bétail et prétend arriver promptement à un état supérieur à l'aisance. Tu le vois bien, Léonard, ce n'est pas l'amour qui le dirige mais cette soif d'indépendance dont je te parlais. Il épouse cette jeune fille parce qu'elle lui plaît malgré sa laideur; parce qu'en se mariant il croit trouver auprès d'elle un bonheur paisible qui ne l'empê- chera pas de songer à l'édification de sa fortune ; parce que son âme a été saisie de compassion pour les chagrins vrais ou faux de Doua Herminia. Mieux aurait valu mille fois que ses sentiments pour Herminia n'eussent abouti qu'à une vulgaire amourette, lors même que les consé- quences eussent été extrêmes. L'honneur de la jeune fille n'eût pas souffert d'une peccadille de ce genre dans ce pays où tant de familles ont leur branche illégitime, et Rodolphe eût été sauvé. Tu comprends que ni toi, ni moi ne pouvons lui en donner le conseil et que toutes nos armes consistent dans la force de nos appréhensions, — armes bien faibles, bien émoussées, quand elles ont pour adversaire une idée arrêtée dans une tête aussi résolue que la sienne ! Tu me demandais tout à l'heure pourquoi je ne m'op- posais pas à son mariage ? La raison en est simple. Nous n'avons à faire valoir contre cet établissement que des hy- pothèses, des pressentiments, des craintes, vives dans nos cœurs, nulles dans le sien. Rodolphe sait qu'en Europe il aura des obstacles nombreux à vaincre pour se créer une fortune; il croit en tenir aujourd'hui le premier chaî- non et voit dans Herminia une compagne qui lui en adou- cira le fardeau. Si nous refusons et que plus tard, en Eu- rope, les difficultés se multiplient sous ses pas, si ses ef- forts y sont infructueux, ne se dira-t-il point dans l'inté- rieur de ses pensées que nous sommes cause innocente de son insuccès? Ne sera-t-il point rongé du regret de nom*