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LA BELLE REGAILLETTE. 67 pensait-elle dans ses rêveries de jeune fille, un jour il se ren- contrera celui qui doit-être l'époux à qui le Giel m'a prédes- tinée ; car les âmes ont été faites l'une pour l'autre : âme de mon âme, que le ciel te guide vers moi ! Tout en soupirant après cette âme-sœur, Regaillette re- doutait de tomber sur une autre, comme cela est arrivé à beaucoup de pauvres filles. C'est pourquoi celle-ci pensa qu'il était prudent de se soustraire à des galanteries qui, depuis l'arrivée du roi avec sa cour, à Marseille, devenaient de jour en jour plus entreprenantes. Regaillette avait perdu sa mère, ce don précieux que nous ne recevons du ciel qu'une fois. Il lui restait un seul protec- teur, son père, qui l'aimait avec tendresse. Elle lui confia les tourments auxquels son âme était en proie. Le bonhomme s'effraya des dangers pleins de séductions qui menaçaient l'honneur de son nom ; car l'honnêteté, ainsi qu'il avait cou- tume de le dire, était « sa noblesse, sa fortune. » Et puis, comme il le disait encore, il avait peur des mauvaises lan- gues du quartier qui trouveraient l'occasion heureuse de ca- lomnier une pauvre enfant dont la beauté avait déjà fait bien des jalouses. Le dépit, la douleur, la colère , — une colère toute provençale — dominaient tour à tour son pauvre esprit troublé. Que faire? Lui, homme du peuple sans appui, sans malice et sans défense, comment lutter de ruse et de pouvoir contre les entreprises d'un grand seigneur de la cour? le roi, peut-être ? car le nom du roi était mêlé à cette roma- nesque aventure. Ferait-il par-tir secrètement sa fille pendant la nuit? mais à qui remettre le dépôt si cher de sa tendresse et de ses alarmes ? Ne pourrait-elle pas, cette charmante enfant, être suivie, enlevée? La garder auprès de lui, n'y aurait-il pas d'autres dangers à courir ? Les galants sauront que son trésor envié est toujours l'a ;