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                     LE PUBLIC AU THÉÂTRE.                        521
vorable ou non, louange ou critique, il la doit. Il la doit sous peine
de déchéance. Si le parti pris du silence a suffi jadis pour poser
haut quelques artistarques dédaigneux, le jour s'est fait mainte-
nant sur cette commode ressource des sots. —Je n'exige, d'ailleurs,
ni exclamations bourgeoisement retentissantes, ni compromet-
tants battements de mains. Ce n'est pas celui qui claque le plus fort
qui est le plus ému. Un murmure contenu sera pour l'artiste un
tribut suffisant s'il a répondu avec la précision de l'écho au cri
qui part de sa poitrine. Il le place bien au-dessus des bruyantes
salves, trop rarement désintéressées ; car dans ce suffrage d'élite
il trouve à la fois la plus flatteuse récompense et le guide le
moins capable de l'égarer. — Voit-il, au contraire, son audi-
toire décidément rebelle? ne le pouvant transformer, peu à peu
il descend à son niveau. Le culte sacré de l'art cède la place aux
tours de force. Il la cède non sans sourire : faire applaudir ce
qu'il méprise lui-même fut toujours la vengeance de prédilec-
tion du génie méconnu.
   Qu'arrivera-t-il si, de part et d'autre, on s'opiniâtre dans cette
voie ? Il est trop aisé de le prédire, car la pente est glissante et
le cercle sans issue. Sile public réserve ses plus chauds transports
aux exercices vocaux les plus périlleux ; s'il demeure décidément
impassible à la phrase « Toi qui me fus ravie » si magistralement
débitée a mezza voce par Renard, au 2 me acte de Jérusalem ; si
le chef-d'œuvre de Rossini, le trio final du Comte Ory, délicieuse-
ment interprété sur notre scène, s'y termine toujours dans un
morne silence ; alors l'artiste, se voilant la face , demandera au
métier ce que l'inspiration lui refuse ; alors l'exagération rempla-
cera la nature ; l'ignoble ficelle, les cordes mélodieuses de la
lyre dramatique : alors l'art musical aura vécu à Lyon.
                                                      P. DlDAY