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250                      LA DAME D'URFÉ.
    La châtelaine poussa un cri ; elle passa sa main sur ses yeux.
Etait-ce un rêve ? — Pardonnez-moi ! dit-elle au châtelain ; puis,
s'élançant, prompte comme une biche, elle courut vers les en-
fants. — Ils sont à moi ! s'écria-t-elle ; et, les pressant dans ses
bras, les couvrant de baisers : ils sont à moi ! Oh ! quelle que
soit la punition que j'aie méritée, je suis contente, je puis mourir,
j'ai revu mes enfants.
    Tout-à-coup, à travers ses larmes, elle aperçut son époux qui
lui tendait les bras.
    — Tu m'aimes encore? dit-elle en s'élançant vers lui et ca-
chant sa tête dans son sein, moi, si coupable ! dis-moi que tu
m'as pardonnée !
    — Douce amie, nous avons bien souffert ; maintenant que
ferons-nous de ces enfants ? ils sont grands et forts ; les élève-
rons-nous avec notre fils ?
    — Oh ! j'aurai assez d'amour pour tous !
    La châtelaine aperçut Marguerite qui pleurait dans un coin de
la salle.
    — Et vous, Marguerite, me pardonnez-vous !
    Marguerite ne répondit qu'en se jetant aux pieds de la châtelaine.
    — Pauvre femme ! vous vous êtes noblement vengée ; ce ne
 sera pas trop de l'amitié de toute ma vie pour me dédommager
 auprès de vous.
    Le soir il y eut fête au château de la Bâtie. Les châtelains des
environs vinrent partager la joie des deux époux, et Aubry, plus
 gai qu'à l'ordinaire, disait en remplissant les hanaps : —C'est du
 vin de l'evêque de Mâcon ; je n'ai rien bu de meilleur, depuis
 le jour où nous avons bouleversé les caves du prieur de Montver-
 dun, et défoncé ses tonneaux ; ah ! la belle fête que nous fîmes .'
    — Pouvez-vous rappeler ces souvenirs ! disait Gertrude.
    — Ah ! c'était le bon temps, alors ; j'étais jeune et je n'étais
 pas marié : c'est la plus belle époque de ma vie.
                                          Aimé VmGTRiNiER.