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14 DE LA POÉSIE ET DU STYLE nous a développer cette partie de sa définition qui est à la fois la plus complète et la plus vraie : la poésie est un état de l'âme; elle correspond à un ordre d'idées tout particulier, elle s'ex- prime dans des formes spéciales. Le sentiment poétique tou- che de près au sentiment religieux, de si près qu'ils se confon- dent parfois ; et tout sentiment religieux constitue l'âme dans l'état poétique. S'il y a une poésie indépendante du sentiment religieux, cette poésie suppose cependant les principales conditions de la religiosité. Par sentiment religieux il ne faut pas entendre ici la foi à tel ou tel dogme positif; mais la croyance générale à un monde surnaturel, celte croyance qu'il existe dans l'univers autre chose que tout ce qui est visible et tangible à nos sens. Derrière tout ce qui a une forme, une couleur, une substance corporelle, derrière tout ce qui peut se toucher et se voir, il y a quelque chose qui vit, dont tous les phénomènes matériels sont l'expression, qui dirige et gouverne tous ces phénomènes ; il y a, en un mot, des âmes, un esprit, cachés et révélés pourtant par tous les objets avec lesquels nous sommes en rapport ; voila la croyance primordiale qui constitue le sentiment religieux et en même temps le sentiment poétique. Ce sentiment peut aboutir à des doctrines diverses, soit au panthéisme, soit au spiritualisme chrétien, mais il n'en est pas moins l'essence même de l'idée religieuse ; on peut en tirer ou l'unité de Dieu, ou le panthéisme ou le polythéisme, mais il est commun à toutes les religions, à toutes les grandes philosophies. Sen tir et croire qu'il y a partout un esprit vivant derrière la forme, que nulle forme n'existe indépendamment d'un prin- cipe spirituel, que chacune a sa signification morale, que la nature, quels que soient son origine et son auteur, est un vaste symbole d'un monde invisible supérieur a elle, et que pour cela on appelle surnaturel, c'est la une faculté com- mune a l'homme religieux et au poète.