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234 LA DAME D'URFÉ. montant sur le perron extérieur jusqu'au premier étage, elle se retourna d'un air blessé : Singulière réception, dit-elle, pour les puissants seigneurs d'Urfé. — Marguerite accusée d'inconduite, disait la foule à voix basse sous les grands arbres de l'avenue et formant des groupes irrités et mécontents ; quelle est cette étrangère qui vient briser la ré- putation de nos jeunes femmes et les insulter à la face de tous? Qu'elle prenne garde, nos yeux sont ouverts, et malheur à elle si sa conduite prête au soupçon. La fête qui avait si bien commencé alla de mal en pis : per- sonne n'alla aux cuisines où rôtissait un bœuf entier ; nul n'alla aux portes de la cave où on devait distribuer du vin à tous ; les musiciens se turent, les jeunes filles n'osèrent plus présenter leurs belles guirlandes ; l'air froid de la châtelaine éloignait tous les vassaux. Les nouveaux arrivants entrèrent sans cérémonie dans la vaste cour du château, les hommes d'armes se dirigèrent à gauche vers les salles qui leur étaient destinées ; les chevaliers entrèrent à droite dans la salle de réception, les dames montèrent par le perron dans les chambres du premier étage, où elles pré- parèrent leurs toilettes du souper ; il n'y avait plus d'ensemble, plus d'unité nulle part ; semblable à un chapelet dont le fil se- rait rompu, cette vaste réunion voyait tous ses membres s'isoler les uns des autres, et chacun dans son cœur présageait, d'après cette arrivée, que ce mariage ne serait pas heureux. Cependant, au milieu des groupes, Isambert parlait à Margue- rite , et de cette voix que Marguerite connaissait si bien, il avait séché les larmes de la jeune mère. Elevés presque ensemble dans cette résidence de chasse, Marguerite avait partagé les jeux d'Isambert enfant. Lorsque Isambert avait été reçu page à la cour de Forez , lorsqu'il avait été nommé écuyer , lorsque plus tard il avait été créé chevalier, lorsqu'il était devenu seigneur des vastes domaines paternels , jamais il n'avait oublié Margue- rite , et toujours pour elle il avait eu un doux sourire , un doux regard ; aussi l'insulte d'Hirmantride avait blessé profondément son âme ! Avec quel soin , avec quelle tendresse il avait réparé le mal que la châtelaine avait fait ! Quand il vit la jeune mère